La bioéconomie ne va pas d’elle-même, mais constitue un bon moyen pour faire évoluer les modèles économiques et modes de consommation. The Shift Project, en partenariat avec Produrable, a organisé la conférence « Zéro émissions nettes : quel rôle pour la biomasse ? » le 5 avril lors du salon Produrable, avec :
- Emmanuelle BOUR-POITRINAL, présidente de la section Forêts, eaux et territoires du Conseil Général de l’agriculture, de l’alimentation, et des espaces ruraux (CGAAER) au Ministère de l’Agriculture, ancienne déléguée générale de FBIE (France Bois Industries Entreprises)
- Colas ROBERT, ingénieur d’études, équipe Agriculture, Utilisation des Terres et Forêt, CITEPA
- Pierre SOLER-MY, président, Carbonex
- Jean-Christophe DOUKHI DE BOISSOUDY, directeur Novamont France et président du Club Bio-Plastiques
- André-Jean GUERIN, ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts, administrateur du think tank The Shift Project et de la Fondation pour la Nature et l’Homme, membre de l’Académie de l’agriculture et président de l’association A Tree For You
Climat : agir face au risque d’une 6ème grande extinction
En introduction, André-Jean Guérin a évoqué le rythme actuel de réduction de la diversité du vivant, qui s’apparente à une 6ème grande extinction. Il a souligné que « chacune des grandes extinctions précédentes s’est accompagnée de changements climatiques » comme ce qui se déroule actuellement sous nos yeux et dont l’homme est certainement le principal contributeur.
En réponse à cela, il nous faut réduire l’extraction et l’usage des trois grandes énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz), mais cela n’est pas suffisant car le secteur des terres émet lui aussi des gaz à effet de serre. S’il a été un puits de carbone pendant des milliards d’années, le secteur des terres est aujourd’hui une source d’émission de carbone, si bien « qu’il est clair qu’en complément de l’arrêt ou d’une réduction drastique de l’utilisation du carbone fossile, il nous faut opérer une évolution dans la gestion des terres. »
La biomasse dans l’industrie pour se passer des hydrocarbures
Pierre Soler-My est président de l’entreprise familiale Carbonex, qui produit du charbon de bois et a développé une offre qui repose sur une rupture technologique permettant une production de charbon de bois à très faibles émissions. La production de Carbonex a été automatisée et relocalisée en France, éliminant ainsi le facteur d’émission transport et passant « de 11,6 tCO2 par tonne de charbon importée à 0,1 tCO2 par tonne de charbon produite en France ».
Jean-Christophe Doukhi De Boissoudy, nous a également présenté l’initiative de Novamont. Cette société issue d’un laboratoire de recherche a essayé de construire un modèle de bioraffinerie. Ainsi, elle a repris une raffinerie italienne fermée, et a utilisé des matières premières locales comme l’huile de graine de chardon qui leur a donné la possibilité de générer des polymères. Le reste de la plante est utilisée pour nourrir des animaux et, à terme, pour valoriser énergétiquement la biomasse pour les besoins de la centrale.
Zéro émissions nettes et moins de 2°C : mobiliser la biomasse pour atteindre les objectifs climatiques
Colas Robert, du CITEPA, a souligné le rôle primordial de la biomasse et la nécessité des puits de carbone pour atteindre l’objectif de 2°C. En France, sur les 500 millions de tonnes de CO2eq émises chaque année, environ 50 sont absorbées par nos forêts qui gagnent en volume. Il peut ainsi être intéressant de favoriser la séquestration de carbone dans le bois. Concernant les sols, il a évoqué le défi de la forêt, qui est actuellement sous-exploitée.
Enfin, pour Emmanuelle Bour-Poitrinal, près de 50% des efforts que la France doit faire en termes de GES à horizon 2030 peut venir du secteur des terres et de la bioéconomie. Cela doit s’opérer par le stockage et la substitution, tous deux significatifs. Mais les marchés résistent (carburant, sacs plastiques, …) et il y a peu de chance que cela s’impose sans accompagnement. Nous devons donc faire appel à des outils tels que les normes et l’analyse de cycle de vie (ACV).
Par ailleurs, on voit que les externalités (positives) de la bioéconomie sont mal prises en considération, de même que les externalités négatives des produits utilisés aujourd’hui. A ce frein s’ajoute celui des contradictions de l’opinion publique concernant le prix du baril à 50$ quand le seuil de rentabilité de nombreux projets de bioéconomie avoisine les 80$.
Développer la bio-économie passe par des politiques publiques et une approche systémique
Les politiques publiques sont donc essentielles. Un Plan d’action pour la bioéconomie a été publié, visant à créer des conditions plus favorables d’arrivée sur le marché, à améliorer l’innovation, et à travailler sur la question de la ressource. Au niveau européen, des instruments tels que la politique agricole commune (PAC) pourraient davantage être mis au service de ces objectifs.
L’utilisation de la biomasse est absolument fondamentale si l’on veut remplacer le fossile. Les participants ont par ailleurs souligné l’importance de la vie et la biodiversité que l’on doit préserver dans nos forêts, sans se référer uniquement aux chiffres. Il ne faut pas isoler la question carbone des autres questions environnementales. Il faut raisonner en lien avec l’aménagement du territoire, la production, l’alimentation, etc.
Pour en savoir plus :
Quel avenir pour la forêt européenne face au changement climatique et à l’objectif de neutralité carbone ? – The Shift Project, in. Revue Forestière Française, Numéro 3 – 2017
Développer la séquestration de carbone par les forêts européennes – The Shift Project, in. Décarbonons ! 9 propositions pour que l’Europe change d’ère, Odile Jacob – 2017