Plan d’action pour la finance durable de la Commission européenne : des propositions qui confortent l’analyse du Shift Project

Share:

La Commission européenne a publié le 8 mars 2018 son plan d’action pour favoriser l’émergence d’une finance durableLa Commission européenne a publié le 8 mars 2018 son plan d’action pour favoriser l’émergence d’une finance durable, selon un planning qui doit s’étaler de mi-2018 à fin 2019. Ce Plan d’action s’appuie sur les recommandations formulées par le Groupe d’Experts sur la finance durable (HLEG) quelques semaines plus tôt. Les objectifs que se fixe la Commission européenne, déclinés en dix actions, confortent les constats établis dans l’étude « Analyse du risque climat : acteurs, méthodologies, perspectives » réalisée avec l’AFEP par Romain Grandjean, Michel Lepetit et Laurent Morel, 3 experts de The Shift Project et publiée en février 2018.

Discours du Président français à la Commission européenne, lors de la remise du rapport sur la finance durable du HLEG.Le président Emmanuel Macron a rappelé que l’Union européenne « devait avoir un leadership climatique assumé » dans son discours du 22 mars 2018 à Bruxelles. Il a notamment insisté sur la nécessité de mobiliser les investissements nécessaires à la transition énergétique en s’appuyant sur un système financier européen pro-climat et sur le besoin d’une meilleure prise en compte des « objectifs de soutenabilité » par les acteurs financiers.

Le Plan d’action de la Commission européenne s’est fixé pour objectif de traiter ces deux aspects en développant une taxinomie des activités durables – prioritairement en matière de changement climatique –, en soutenant l’intégration systématique de la durabilité dans la gestion des risques (évolution de l’encadrement des agences de notation et des investisseurs en matière de critères ESG) et en favorisant la transparence et une vision de long terme (amélioration de la disponibilité et de la qualité des informations, réflexion sur le rôle des normes comptables).

The Shift Project se félicite de cette dynamique, qui devra rapidement clarifier les enjeux pour permettre aux entreprises et aux investisseurs d’instruire leurs stratégies climat en pleine connaissance de cause.

Le climat, « primus inter pares »

Le Plan d’action de la Commission fait la part belle au climat. De très loin, les risques associés au changement climatique (de transition et physiques) sont reconnus comme les plus urgents et seront prioritairement traités, notamment dans le cadre de l’élaboration de la taxinomie des activités durables (cf. ci-dessous).

Alors que le climat demeure encore largement intégré à l’ensemble plus large de l’analyse « ESG » (Environnementale, Sociale et de Gouvernance) dans la plupart des textes de loi et des réglementations européennes, les déclarations de la Commission indiquent que ce sujet va s’autonomiser de plus en plus. L’analyse du Shift Project souligne que cette autonomisation devrait encore s’accélérer, compte tenu de la matérialité du risque « climat », de sa capacité – fondamentale – à être quantifié, de sa dimension systémique, ainsi que de la très préoccupante trajectoire actuelle des émissions mondiales de gaz à effet de serre.

Une priorité : la taxinomie climat

La définition d’une taxinomie constitue la priorité la plus urgente du Plan d’action de la Commission. Il s’agit d’un système de classification commun aux pays de l’UE qui devrait permettre d’identifier quels secteurs d’activité peuvent être considérés comme « durables » par des investisseurs. L’objectif est d’assurer la qualité, la comparabilité et la fiabilité des produits financiers associés aux investissements dans des secteurs durables et de faciliter de tels investissements.

Le calendrier de mise en œuvre ne devrait pas excéder deux ans et la priorité est clairement mise sur l’identification des projets et des activités qui participent à la réduction des émissions de GES puis à l’adaptation au changement climatique (Action 1 ; « Si les travaux d’élaboration de la taxinomie porteront en premier lieu sur l’atténuation du changement climatique, ils s’étendront progressivement à l’adaptation au changement climatique et à d’autres questions environnementales et, par la suite, à la durabilité sociale »).

Une telle taxinomie est vue comme un préalable à de nombreuses autres mesures du Plan d’action.

Un environnement à risque

Dans le paragraphe introductif du Plan d’action, la Commission insiste sur les bouleversements auxquels les pays européens, entre autres, seront exposés s’ils demeuraient inactifs, en faisant notamment référence aux limites physiques de l’environnement (« Confrontés aux conséquences catastrophiques et imprévisibles de plus en plus nombreuses du changement climatique et de l’épuisement des ressources, les pouvoirs publics doivent agir de toute urgence pour adapter leurs politiques à cette nouvelle réalité »). La prise en compte par les poilitiques publiques des sous-jacents physiques qui sous-tendent le fonctionnement et le développement des sociétés humaines est un des axes de l’action du Shift Project, qui ne peut que saluer cette mention.

Vers une réglementation plus soucieuse du climat

Le Plan d’action de la Commission met l’accent sur le besoin d’une législation et d’une régulation financière plus soucieuses des critères ESG, notamment climatiques. Cette démarche implique un renforcement du rôle des autorités européennes de surveillance (ESA)[1], qui sont invitées à se mobiliser dans cette perspective. La Commission affirme ainsi que ces agences « devraient jouer un rôle important dans l’évaluation des risques que font peser les facteurs de durabilité sur la stabilité financière, et dans l’information concernant ces risques ».

Cette dynamique répond à une situation bien identifiée par l’analyse du Shift Project, laquelle souligne l’absence de régulation européenne significative en matière d’analyse du risque « climat ».

Une possible évolution dans la régulation des agences de notation financière

Dans son étude, The Shift Project rappelle le besoin de ressources et d’expertise significatives pour conduire une analyse pertinente des « risques et des opportunités climat » et attire l’attention sur les aspects suivants :

  • la prise en compte trop limitée et insuffisamment explicite de ces risques dans la notation du crédit des entreprises par les agences financières (la « tragédie des horizons », selon l’expression de Mark Carney, gouverneur de la banque d’Angleterre) ;
  • l’hétérogénéité des méthodologies et le manque de moyens qui affectent le secteur de la notation climat ainsi que l’ensemble du secteur ESG.

Le Plan d’action de la Commission confirme en grande partie le même constat. Alors qu’aujourd’hui l’analyse des risques extra-financiers n’est encadrée par aucun régulateur, le point n°6 du plan propose une série de mesures visant à remédier à la situation en favorisant la prise en compte explicite des critères ESG dans le processus d’analyse des agences de notation financière. À ce titre, il est notamment demandé à l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) d’inclure les critères ESG dans ses lignes directrices concernant le reporting de ces agences d’ici au second trimestre 2019. La Commission prévoit de lancer également une étude sur le marché de la notation extra-financière (structure, analyse des acteurs et des méthodologies), visant à favoriser le développement d’un marché mature et moins concentré.

Vers une publication d’informations mieux encadrée et de meilleure qualité

La question du reporting extra-financier apparait comme l’une des priorités de la Commission. A ce sujet, l’étude du Shift Project souligne qu’en matière de climat, un véritable enjeu de qualité et d’homogénéité des « informations climat » quantitatives et qualitatives persiste.

Là encore, le plan d’action de la Commission part d’un constat similaire, et se fixe pour objectif d’améliorer la transparence et la formalisation des informations non-financières publiées par l’ensemble des acteurs économiques (entreprises et investisseurs). Cela comprend notamment :

  • la révision des lignes directrices sur le reporting non-financier, notamment « climat », afin de le rendre compatible avec les recommandations de la Task Force on Climate-related Financial Disclosures (TCFD, incluant donc l’information sur l’usage de scénarios énergético-climatiques) et les indicateurs de la future taxinomie européenne ;
  • la création, dès le 3e trimestre 2018, d’un laboratoire européen sur le reporting des entreprises, placé sous l’égide de l’EFRAG (groupe consultatif pour l’information financière en Europe, sous la présidence de J.-P. Gauzes). Cet organisme aura pour objectif de promouvoir et favoriser l’adoption des meilleures pratiques en matière de reporting extra-financier.

L’impact des normes comptable (IFRS) sur l’investissement de long terme fait également l’objet d’une action de la Commission. Il est par ailleurs intéressant de noter que celle-ci est présentée dans le chapitre traitant des informations extra-financières, induisant le besoin de cohérence entre comptabilité financière et carbone.

Évolution des obligations des investisseurs

Dans sa démarche, la Commission n’oublie pas les gestionnaires d’actifs ni les investisseurs institutionnels et souhaite présenter, d’ici mi-2018, une proposition législative exigeant que ces acteurs fassent état de la manière dont ils tiennent compte des critères ESG, et notamment climat, dans leur stratégie et leurs décisions d’investissement.

On ne manquera pas de noter que cette mesure s’inscrit dans la continuité de l’Article 173-6 de la Loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) française. Rappelons que The Shift Project a développé sous la direction de M. Lepetit, un observatoire leader de la prise en compte de l’article 173 par le secteur financier : l’Observatoire 173 Climat Assurance vie.

Le Président de la République a été remarquablement clair à Bruxelles : « Le risque est au cœur de la finance. Les investisseurs doivent mesurer plus systématiquement ce qu’est le risque climatique et ses conséquences financières. […] Nous devons à présent viser une transparence généralisée à toutes les entreprises et tous les investisseurs européens. 

Gestion indicielle

Alors que la gestion indicielle passive connait un développement très significatif, la Commission souligne « le manque de transparence des méthodes utilisées » et le besoin de davantage de « transparence et de solidité afin de réduire les risques d’éco-blanchiment ». Elle propose dans ce sens de faire évoluer le règlement encadrant la production d’indices et de présenter une initiative d’harmonisation des méthodologies de construction des indices bas carbone, notamment sur la base des indicateurs de la future taxinomie européenne.

Dans son étude, The Shift Project a souligné que les critères de constitution de la plupart des indices « bas carbone » n’intègrent qu’une vision partielle et statique du risque « climat » (généralement les données du scope 1 et du scope 2). Il est dans ce sens nécessaire que ceux-ci prennent en compte une vision aussi complète que possible de ces risques en intégrant notamment le scope 3 et des éléments prospectifs.

Une telle décision de la Commission pourrait modifier dans le bon sens les fondamentaux du marché de la gestion indicielle « bas carbone ».

Ce qui ne figure pas dans le Plan d’action de la Commission

Si la prise en compte des critères de long terme est promue, de même que des mesures visant à lutter contre le court-termisme exercé par le marché (Action 10), le Plan d’action de la Commission aurait pu souligner davantage l’importance de l’analyse de risque à partir de scénarios.

Ainsi, le texte publié évoque que les autorités européennes de surveillance du secteur financier « (…) pourraient concevoir une méthodologie commune de l’UE pour les analyses de scénarios pertinents, qui pourrait ultérieurement évoluer vers des tests de résistance aux contraintes climatiques/environnementales ». Ajoutons également que l’application des recommandations de la TCFD, clairement promue par le Plan d’action (cf. Action 9), inclut la publication, par certaines entreprises au-delà d’un seuil de chiffre d’affaires, d’informations sur l’usage de scénarios énergético-climatiques (dont un scénario 2°C) pour gérer leur risque « climat ».

Dans son étude, The Shift Project a constaté que les scénarios énergético-climatiques sont incontournables pour évaluer la viabilité d’une entreprise dans un monde bas carbone et étudier les conséquences sur sa stratégie d’une modification profonde d’un environnement économique affecté par le changement climatique. Toutefois, la publication d’informations sur l’usage des scénarios semble encore poser de nombreuses questions d’ordre stratégique pour les entreprises (sensibilité des informations manipulées, horizon de projection, robustesse des hypothèses, comparabilité, couverture, problématiques sectorielles).

Un positionnement plus tranché de la Commission aurait ainsi été souhaitable, afin de faire progresser la réflexion à ce sujet et le déploiement de pratiques partagées par les entreprises. Le Président de la République a montré la voie à Bruxelles : « Nous avons ainsi défini une stratégie de neutralité carbone à horizon 2050 (…) Je souhaite construire durant les années où j’ai la charge de mon pays la trajectoire et la stratégie concrète qui permettront d’y arriver. »

Conclusion

Le Plan d’action de la Commission est intéressant et satisfaisant à plusieurs égards. Il fait du climat le sujet principal de son Plan d’action ; il semble vouloir combler le vide en matière de régulation de l’analyse des risques « climat » et ESG ; enfin, il prolonge la dynamique de la TCFD au sein de la sphère financière.

Toutefois, les obstacles à sa mise en œuvre pourraient être nombreux et le risque d’enlisement des discussions institutionnelles n’est pas négligeable.

Il y a urgence.

 

Auteurs : Romain Grandjean (romain.grandjean@theshiftproject.org) et Michel Lepetit

[1] EIOPA (assurances) ; ESMA (marchés financiers, à Paris) ; EBA (banques, prochainement à Paris, suite au Brexit)


Share: