The Shift Project publie une nouvelle note « Climat : 8 propositions pour la future ENA » (2020) qui propose d’intégrer les enjeux énergie-climat à l’École nationale d’administration (ENA). Si le rapport « Mobiliser l’enseignement supérieur pour le climat » (2019) concernait l’enseignement supérieur en général, The Shift Project a souhaité poursuivre le travail en initiant des réflexions sectorielles, dont sur la formation des fonctionnaires et notamment à l’ENA.
L’Australie brûle, la banquise fond, le climat change et ce n’est que le début des transformations que verra ce siècle déjà bien entamé. Dans le contexte de réforme de la fonction publique pour les prochaines décennies, et notamment de l’ENA elle aussi appelée à se transformer, les questions du réchauffement climatique et de perte de la biodiversité doivent être centrales. Il est en effet nécessaire, pour atténuer ces changements et y adapter la société, de former une fonction publique à la hauteur des enjeux qu’ils soulèvent. C’est le message porté par la Tribune « Répondre au défi climatique nécessite de former l’ensemble des agents publics » signée par de nombreux anciens élèves de l’ENA, publiée dans Le Monde du 3 décembre 2019.
L’ensemble des politiques publiques d’État sont confrontées au changement climatique
La future ENA, quelle que soit sa forme, conservera sans doute le même but : former des fonctionnaires d’Etat. Or, l’ensemble des politiques publiques est concerné par les changements liés au climat et à la biodiversité : la santé, l’agriculture, le tourisme, l’économie, la justice, etc. Les fonctionnaires qui auront à concevoir, mettre en œuvre et évaluer les politiques publiques de demain pour adapter la société au dérèglement climatique et atténuer ce dernier ainsi qu’enrayer la perte de la biodiversité doivent donc être impérativement formés à ces enjeux nouveaux.
Les concours d’entrée pourraient intégrer les enjeux climatiques et de biodiversité
Le principe du concours, qui est une modalité législative pour l’égal accès des citoyens aux emplois publics, semble devoir être conservé par la réforme. Il est nécessaire d’agir dès le concours d’entrée pour deux raisons : sélectionner des candidats sensibles à ces enjeux, et inciter les établissements d’enseignement supérieur et instituts de préparation aux concours à intégrer le climat et la biodiversité dans leurs formations.
Les épreuves changeront sans doute, et à ce titre l’une d’entre elles pourrait être consacrée spécifiquement à vérifier le socle commun de connaissances tel que préconisé par le rapport du Shift consacré à l’enseignement supérieur, et les implications de ces enjeux en matière de politiques publiques. Une telle épreuve constituerait un signal fort de modernisation de la fonction publique.
Les autres épreuves thématique écrites et orales devraient également aborder de manière transversale ces enjeux environnementaux : à la fois leurs conséquences pour les politiques publiques et le rôle que ces dernières doivent jouer pour atténuer les effets induits. La mise en place d’une grille de notation privilégiant la mention de ces enjeux est pour ce faire un prérequis essentiel. Enfin l’entretien de personnalité, communément appelé « Grand Oral », qui sera vraisemblablement conservé sous une forme ou sous une autre, devrait intégrer une question obligatoire sur les sujets climatiques et de biodiversité afin de tester en personne la réaction du candidat.
La scolarité approfondirait ensuite les connaissances et réflexions des candidats admis
Les stages, qui constituent le pilier de la formation dans les écoles de service public, seront sans doute conservés par la réforme. Ils sont donc l’occasion d’observer sur le terrain les effets de plus en plus nombreux des enjeux environnementaux et les réponses apportées en termes de politiques publiques (à titre d’exemple, les sécheresses persistantes). La rédaction d’un rapport transversal sur le sujet permettrait de toucher la réalité concrète de ces changements et des adaptations qu’ils appellent en conséquence.
Ce rapport devrait être articulé avec le reste de la scolarité. Un cours dédié au dérèglement climatique et à la biodiversité (laquelle est à la fois menacée par le premier et une réponse à celui-ci) permettrait d’approfondir le socle commun du concours. Il pourrait à ce titre être sanctionné par une épreuve de classement, si le principe du classement est conservé. Dans les autres cours, les enjeux environnementaux, essentiels pour les prochaines décennies, devraient également être abordés, y compris dans au moins une épreuve blanche (encore une fois si le classement et ses épreuves notées sont repris dans la future formation).
L’ensemble des agents publics pourrait être formé de manière continue
L’ENA à l’heure actuelle dispense également de nombreuses formations continues. Les enjeux climatiques et de biodiversité devraient également y figurer, et ce tout au long de leur carrière, que ces formations soient assurées par la future école ou non.
Ces différentes pistes assureraient une fonction publique au fait des enjeux environnementaux et donc à même d’administrer un pays confronté au réchauffement climatique et à la perte de la biodiversité car au fait de ces enjeux.
Témoignages
« Si le climat est abordé dans les matières du concours et de l’enseignement à l’ENA, ce n’était jusqu’à présent que de manière très superficielle. La direction de l’école a depuis le 1er janvier 2020 inclus un module consacré à la transition écologique. Cependant avec la réforme à venir de l’école, il est nécessaire de doter les élèves-fonctionnaires de la future ENA, qui ont vocation à travailler dans l’ensemble des secteurs de l’action publique (magistrature administrative et financière, inspections, ministères) d’une formation plus poussée, avant et pendant, sur les enjeux environnementaux et leurs conséquences. Ce n’est qu’à la double condition de l’intégration de ces questions dans le concours et dans la formation que l’Etat pourra mener une transition écologique digne de ce nom, en atténuant le changement climatique et la perte de la biodiversité tout en menant des politiques d’adaptation de la société. »
Cette note est le fruit travail de Diane Delaurens, une ancienne élève de l’ENA (promotion Clemenceau), de Sciences Po et de l’Université PSL. Contributrice régulière à la revue Esprit, elle s’intéresse aux enjeux du changement climatique en termes politiques publiques et en philosophie. Elle a initié au sein du Shift Project un travail sur la formation des fonctionnaires aux enjeux énergie-climat, et particulièrement à l’ENA. Nous remercions également tous les relecteurs qui ont contribué à la richesse de la réflexion.
Contact : Diane Delaurens, experte associée à The Shift Project et auteure de la note | diane.delaurens@theshiftproject.org