Lors de l’atelier « Bâtiment : le temps des grands choix de la transformation » du 29 mars 2022, organisé dans le cadre du Grand Défi Ecologique, la 1ere Biennale de l’ADEME, un travail de comparaison de scénarios parus à l’automne 2021 (ADEME, négaWatt, The Shift Project, Pouget Consultants / Carbone 4) a été présenté. Au-delà de différences de détail, liées notamment aux méthodologies de modélisation utilisée, l’ensemble des scénarios converge vers 8 messages clés sur la construction neuve et la rénovation des logements.
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En bref
En ce qui concerne la construction neuve, les scénarios constatent une baisse tendancielle du besoin de logements neufs (message 1). Cette tendance démographique peut être accentuée par différents leviers afin de limiter l’impact environnemental de la construction (message 2). Les scénarios qui maintiennent un rythme de construction neuve plus élevé présentent des impacts importants, notamment liés aux matériaux mobilisés (message 3). Enfin, il semble important de renforcer encore la performance thermique des logements neufs à l’avenir (message 4).
Sur le volet de la rénovation, les scénarios intègrent la rénovation performante de la quasi-totalité du parc de logements. Le parc de 2050 est donc radicalement différent de celui de 2020 (message 5), bien que composé pour l’essentiel de bâtiments existants en 2020 qui auront été rénovés. La performance des rénovations est portée à un niveau BBC ou équivalent ou plus performant encore (message 6), dans l’ensemble des scénarios. Le rythme de rénovation subit également une accélération radicale (message 7), pour atteindre entre 600 000 et 1 million de rénovations performantes par an d’ici à 2030. Enfin, les scénarios tablent sur une décarbonation de la chaleur (message 8) en complément de l’isolation des enveloppes. Pour l’ensemble des scénarios comparés, il est donc nécessaire d’augmenter à la fois le rythme et la performance des rénovations énergétiques.
Vue d’ensemble des scénarios :
Les scénarios comparés sont les suivants :
Les points communs des scénarios[1] :
- Baisse des consommations d’énergie (finale) de 30 à 50% dans les scénarios les plus sobres,
- Baisse des émissions GES à un niveau résiduel (jusqu’à -99% de baisse dans le scénario négaWatt et The Shift Project),
- Cette décarbonation n’est rendue possible que par la conjonction de la baisse de consommation et de la décarbonation des vecteurs énergétiques.
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La construction de logements neufs
Message 1 : une baisse du besoin de logements neufs
Si les besoins en constructions neuves restent importants pour la décennie 2020, l’ensemble des scénarios fait le constat partagé du ralentissement de la croissance démographique, qui induit une baisse du besoin de construction neuve qui suit la tenance actuelle à court terme puis se renforce à moyen terme :
- Il s’agit d’une tendance de fond qui s’accentue. Elle était déjà présente dans la SNBC 2, elle apparait dans tous les scénarios étudiés ici. Au vu des nouvelles projections démographiques de l’INSEE parues fin 2021, elle sera même amenée à s’accentuer dans les décennies à venir
- C’est un signal fort pour la filière. Il est important pour les acteurs de la construction neuve de prendre en compte cette tendance de fond et d’anticiper ses implications pour leur activités (à la fois en termes de défis – baisse du nombre de logements construits et d’opportunités – relais de croissance dans la rénovation).
Évolution de la population de 1970 à 2070 (scénario central, INSEE, 2021[2])
Message 2 : Limiter l’impact environnemental de la construction
La construction neuve conserve un impact environnemental important (énergie, artificialisation des sols…), même en considérant une diminution du nombre de logements construits liée au ralentissement démographique. Pour cette raison, les scénarios explorent les mêmes leviers pour limiter cet impact :
- Baisser le besoin de logements (au-delà de la baisse induite par le ralentissement démographique) : mobilisation du parc existant (à travers la baisse de la proportion des résidences secondaires et des logements vacants, et la géographie de l’emploi), pratiques de cohabitation (influant sur le nombre de personnes par ménage), meilleure adéquation entre surface du logement et nombre de personnes par ménage (via la mobilité résidentielle)
- Baisse de la part des maisons individuelles dans la construction neuve (plus consommatrices de ressources, notamment par personne logée : espace, énergie, matériaux, et également génératrices de consommation dans les transports).
- Consolidation et massification des constructions à très faible impact environnemental au travers notamment, de la mise en œuvre de matériaux bas carbone (bois, isolant biosourcé, terre crue…)
Nombre de logements neufs par an en moyenne par décennie par scénario
Le dialogue entre scénaristes a également fait émerger le besoin de fiabiliser l’appareil statistique public sur le nombre de logements démolis, de disposer de projections du nombre de ménages adaptées aux nouvelles projections démographiques de l’INSEE publiées fin 2021, ainsi que d’expliciter systématiquement dans les statistiques publiques sur les surfaces l’unité utilisée (SHAB, SDP…).
Message 3 : Construire plus implique des impacts environnementaux plus élevés
Certains scénarios explorent des voies différentes : déconstruction-reconstruction d’ampleur (ADEME S3) ou continuation des tendances passées (ADEME S4). La construction neuve étant plus performante en phase d’usage, une part importante de construction neuve dans le parc en 2050 permet d’en réduire la consommation. Cependant, il faut regarder l’impact environnemental du bâtiment sur l’ensemble de son cycle de vie : ces scénarios un impact environnemental plus important en termes de consommation d’espace et d’énergie pour produire les matériaux et équipements nécessaires, et de production de déchets. Ainsi, ils transfèrent une partie de la responsabilité de la transition sur d’autres secteurs (décarbonation de l’industrie, compensation en espaces à renaturer pour contrebalancer ceux artificialisés, mais sans garantie de retrouver des espaces de même valeur écologique). A titre d’exemple, les surfaces à renaturer pour l’année 2050 dans les scénarios ADEME S3 représentent plus de 30 kha, soit une superficie égale à 3 fois la ville de Paris ou encore plus d’un terrain de foot dans chaque commune de France.
Plus généralement, ces scénarios (ADEME S3 et S4) sont les deux des quatre scénarios de l’ADEME où les émissions carbone sont les plus élevées en 2050, et qui nécessitent le plus le recours à des puits carbone technologiques. Le scénario S4 amène à faire un pari sur des technologies encore peu matures aujourd’hui.
Comparaison des scénarios ADEME S1, S3 et S4 sur la dimension « construction neuve »
Source : ADEME (le scénario S2 n’est pas représenté par soucis de simplicité de lecture)
Message 4 : Aller plus loin sur la performance thermique des logements neufs
L’amélioration de la performance des logements neufs est une opportunité à ne pas rater. Tous les scénarios incluent une amélioration de la performance des logements neufs par rapport à celle prévue dans la RE2020.
- Il est possible d’améliorer les performances thermiques des logements neufs au-delà des seuils de la RE2020.
- Cette amélioration permet des économies d’énergies de moindre ampleur que celles atteignables par la rénovation, mais néanmoins nécessaires pour ne pas contraindre plus la rénovation.
- La différence entre une RE2020 qui aurait été fixée à un niveau proche du passif et la RE2020 dans sa version actuelle est au minimum de 9 TWhEF (hors énergie issue de l’environnement) pour une consommation de chauffage comprise en 2050 entre 80 TWhEF (négaWatt) et 120 (ADEME S3).
- Il ne faut donc pas relâcher l’effort sur la construction neuve, qui est par ailleurs un laboratoire d’innovation pour permettre à l’ensemble des acteurs de progresser. Un label d’Etat ambitieux et financé, comme l’a été le BBC RT 2005, permet d’induire ces sauts techniques et organisationnels qui seront aussi utiles en rénovation.
Mix énergétique (TWh) en 2050 des logements construits après 2020, hors énergie issue de l’environnement
Source : Pouget Consultants & Carbone 4
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La rénovation des logements
Message 5 : 2050 : un parc radicalement différent de celui de 2020
Dans tous les scénarios, le parc de 2050 est radicalement différent de celui de 2020.
Il a fait l’objet d’une rénovation performante concernant la quasi-totalité des logements
En moyenne, sur le parc de logements :
- Les consommations de chauffage (hors chaleur environnement) ont baissé a minima de 60% (et jusqu’à 75% dans certains scénarios),
- Les consommations d’eau chaude sanitaire (hors chaleur environnement) diminuent a minima de 40% (jusqu’à 65% dans les scénarios les plus sobres).
Cette baisse des consommations est essentielle pour faciliter la mise en place d’un chauffage décarboné (PAC fonctionnant mieux en logement isolés, limitation de la sollicitation de la ressource biomasse, solaire thermique dimensionné au plus juste, etc.), et plus généralement la construction d’un système énergétique décarboné.
Photographie du parc de résidences principales en 2050 par niveau de performance
NB : dans tous les scénarios sauf les scénarios ADEME, les logements construits après 2000 ne sont pas forcément rénovés, et sont alors comptés en “logement récents performants ayant fait l’objet d’une rénovation légère”, pour identifier les logements construits après 2015 sur un périmètre commun.
Message 6 : Viser la performance des rénovations
Tous les scénarios introduisent de très hauts niveaux de performance thermique et énergétique lors des rénovations, qui tranchent avec les niveaux de performance atteignables par une rénovation par gestes.
Certains segments de parc (de 5 à 10% selon les scénarios) ne pourront pas atteindre un haut niveau de performance pour des raisons architecturales et patrimoniales, notamment. Pour compenser la non-atteinte de la performance sur ces segments, les autres logements devront aller le plus loin possible. L’objectif d’un parc atteignant le niveau BBC-Rénovation en moyenne nécessite donc que certains logements, pour lesquels c’est possible, aillent plus loin que le niveau BBC-Rénovation. Il s’agit d’aller chercher le gisement sur chacun des logements plutôt que de viser un objectif de résultat fixe.
Les approches par bouquets de travaux précalculés, particulièrement adaptées à la maison individuelle, permettent ainsi de répondre à cet enjeu, en raisonnant en objectif moyen au niveau du parc, plutôt qu’en objectif bâtiment par bâtiment.
Parc de logements collectifs en 2050 par niveau de consommation (scénario Pouget Consultants / Carbone 4)
Source : Pouget Consultants / Carbone 4
Message 7 : Une accélération radicale du rythme de la rénovation performante
Tous les scénarios incluent une accélération radicale du rythme de la rénovation performante :
- Dans la décennie à venir, l’enjeu est de convertir au plus vite les rénovations par “gestes” en des rénovations performantes, d’abord avec la main d’œuvre disponible, puis en augmentant le volume de main d’œuvre consacré à la rénovation.
- Tous les scénarios[3] incluent une priorisation des logements les plus consommateurs ou les plus émissifs, ce qui permet d’économiser plus d’émissions GES en volume global entre 2015 et 2050.
Les scénarios ADEME S3 et S4, qui sont les moins ambitieux, demandent également une accélération sans précédent du rythme de rénovation ambitieuse. ADEME S3 introduit l’idée qu’une légère perte de performance pourrait être compensée par une plus grande consommation d’énergies moins carbonées (réseaux de chaleur, électricité), mais il s’agit seulement d’une dégradation légère de la performance globale : les logements font l’objet d’une rénovation de l’ensemble de leur enveloppe, mais l’absence d’inscription des rénovations dans une trajectoire de performance conduit à une légère dégradation de la performance finale.
Scénario The Shift Project – Evolution du parc de logements par étiquette de performance énergétique
Scénario Négawatt– Evolution du parc résidentiel par niveau de performance énergétique
Message 8 : Décarboner la chaleur
Tous les scénarios décarbonent la chaleur.
- Ils ont en commun une sortie des vecteurs carbonés pour le chauffage et l’eau chaude sanitaire : sortie du fioul, baisse de la part des logements chauffés au gaz, forte électrification avec les pompes à chaleur (ce qui suppose une amélioration importante de la performance de ces équipements et simultanément de l’isolation des enveloppes), puis, à des degrés divers en fonction de la philosophie des scénarios, recours au bois ou aux réseaux de chaleur.
- La part du gaz baisse car l’offre de gaz renouvelable est, dans tous les scénarios, allouée en priorité à des usages du gaz non substituables. Ces usages prioritaires sont notamment le transport longue distance (poids lourds, bus et autocars en particulier) ; les industries à haute température (par exemple les fours verriers ou les hauts fourneaux) ; le gaz matière première. Dans certains scénarios, les logements collectifs avec chauffage individuel déjà équipés au gaz sont considérés comme des usages difficilement substituables du gaz car il y est plus difficile de modifier les systèmes existants : ils constituent un « talon de consommation » de gaz pour les logements.
- La décarbonation de la chaleur est un sujet qui concerne tous les bâtiments, y compris ceux qui sont déjà isolés et qui vont devoir changer leur système de production (bâtiments construits après 2000).
Proportion de logements par énergie principale de chauffage en 2050
Ressources
ADEME (2021), Transition(s) 2050, Choisir maintenant, Agir pour le climat, Rapport principal
négaWatt (2021), La transition énergétique au cœur d’une transition sociétale, Synthèse du scénario négaWatt 2022
The Shift Project (2021), Habiter dans une société bas carbone
Pouget Consultants & Carbone 4 (2020), Neutralité et logements, À quelles conditions le secteur résidentiel Peut-il atteindre la neutralité carbone telle que définie dans la SNBC ? [i]
Contacts :
- négaWatt : Thierry RIESER (rieser@enertech.fr)
- The Shift Project : Rémi BABUT (remi.babut@theshiftproject.org)
- Pouget consultants : Julien PARC (julien.parc@pouget-consultants.fr)
- ADEME : Albane GASPARD (albane.gaspard@ademe.fr)
[1] À l’exception du scénario ADEME S4, qui nécessite un recours accru aux puits carbone technologiques, encore peu matures
[2] Les scénarios présentés ici reposent sur les projections précédentes de l’INSEE, celles présentée ici ayant été publiées fin 2021.
[3] Sauf le scénario ADEME S4
[i] Ce travail a fait l’objet d’une mise à jour en 2021, pour prendre en compte les décisions finales sur la RE2020. Cette mise à jour n’a pas été publiée