Législatives 2024 : The Shift Project analyse les principales mesures énergie climat

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Le climat et la transition énergétique ont occupé une place mineure dans la brève campagne de ces législatives anticipées. Lors des deux grands débats télévisés qui ont précédé le premier tour, moins de 10 % du temps parole leur a été consacré, à travers des alternatives simplistes de type : pour ou contre la voiture électrique, ou pour ou contre le nucléaire

Nous avons indiqué avant le premier tour combien cet état de fait est dommageable. En analysant à présent le contenu des programmes principaux, le Shift Project obéit à sa vocation : pousser constamment le débat démocratique à la cohérence.

La capacité de la France à ouvrir le chemin de la sortie des énergies fossiles est loin d’être le seul enjeu fatidique du scrutin périlleux de ce 7 juillet. Le Shift Project examine ici la place de cet enjeu dans les programmes des partis en lice lors de ce second tour. Pour cela, nous avons confronté ces programmes aux recommandations de notre Plan de transformation de l’économie française (Odile Jacob, 2022).

Les constats scientifiques, à commencer par ceux du Giec, sont clairs : si la France ne relève pas le défi de la mise en œuvre de l’Accord de Paris, elle s’expose à des risques lourds et irréversibles, non seulement sur le plan environnemental, mais également sur le plan social et économique (l’humanité vivant à l’intérieur de son environnement, non à côté ou en dehors). 

Aucune Assemblée nationale, aucun parti, aucune majorité, aucune coalition malgré ses divergences politiques internes ne pourra en faire abstraction : c’est une condition préalable à la réalisation de la quasi-totalité de nos objectifs sociaux ou économiques de long terme. La conduite du pays doit se faire de manière à accélérer la transition au niveau national, européen et international. Le Shift Project et les Shifters y resteront vigilants.

Fondée sur des programmes succincts, notre analyse met en lumière la place promise aux enjeux climatiques et énergétiques à un moment crucial pour l’avenir de la République française. 

Apartisan, le Shift Project n’est pas apolitique pour autant. Nous laissons aux citoyennes et citoyens français qui prendront le temps de lire notre analyse le soin d’en tirer leurs conclusions. Nous souhaitons que celles-ci contribuent à leur choix dans l’isoloir. Votez !

Télécharger la note d’analyse (15 p.)

 

Analyse des programmes

Les programmes publiés par les principaux partis dont des candidats se sont qualifiés pour le second tour ont été analysés au prisme de la compatibilité des propositions mises en avant avec celles proposées par The Shift Project, notamment dans le cadre de son Plan de transformation de l’économie française (PTEF).

Les partis et coalitions de partis concernés sont Ensemble, le Nouveau Front Populaire (NFP) et le Rassemblement National (RN). Ils seront présentés, dans les analyses, dans cet ordre, alphabétique. D’autre part, la simple profession de foi publiée par le parti Les Républicains étant trop peu fournie pour cet exercice, elle n’a pu être intégrée.

Transports et mobilité

Aucun des trois partis ne mentionne l’ensemble des leviers de décarbonation de la mobilité évoqués dans le PTEF. Le parti Ensemble se concentre sur l’électrification des voitures, et le Nouveau Front Populaire sur le report modal de la route vers le rail : des mesures nécessaires, mais qui, prises individuellement, sont incomplètes. Aucune mesure de sobriété n’est mise en avant par ces deux partis. Les mesures du Rassemblement National, quant à elles, vont principalement à l’encontre de l’électrification du parc automobile et donc de la décarbonation de la mobilité.

Logement

L’enjeu de la rénovation énergétique des bâtiments est mentionné dans l’ensemble des programmes ; les autres enjeux de décarbonation du logement sont absents des programmes. Les programmes de Ensemble et du Nouveau Front Populaire proposent des mesures favorables à la décarbonation du secteur, mais imprécises. Le programme du Rassemblement National revient sur des objectifs et législations existantes au risque de compromettre l’atteinte des objectifs climat du secteur.

Agriculture

L’enjeu agricole est mentionné dans l’ensemble des programmes, soit succinctement, soit plus en profondeur, mais essentiellement sous l’angle des enjeux liés aux revenus des agriculteurs. Pour le RN et le NFP, cela passe principalement par des mesures qui visent à atténuer le poids de la concurrence internationale, et pour Ensemble, par la mise en place de “prix planchers”. Seul le programme du NFP affirme son soutien à des modèles agricoles différents (bio, agroécologie). Il est à noter qu’aucun programme ne fait de propositions explicites pour répondre directement aux enjeux énergétiques et climatiques du secteur.

Industrie

Les enjeux industriels sont rarement abordés de manière détaillée dans les programmes électoraux. La décarbonation de l’industrie réclame pourtant une trajectoire explicite, cohérente et  quantifiée sur un temps suffisant pour permettre des investissements et transformations aux inerties importantes. L’industrie lourde, qui concentre les trois quarts des émissions du secteur en France et implique des infrastructures et investissements considérables, n’est explicitement adressée par aucun des programmes, à l’exception de la proposition (pertinente) du parti Ensemble sur la réduction des plastiques. Acier, ciment et engrais sont pourtant des productions indispensables à la société, dont les évolutions de volumes et de marchés avals décarbonés seront déterminantes dans la décarbonation de l’économie.

Énergie

Les mesures proposées par les trois partis sont principalement centrées sur le mix électrique, avec un soutien fort soit au nucléaire (pour Ensemble et le Rassemblement National), soit aux énergies renouvelables (Nouveau Front Populaire). Aucun des programmes ne met en avant le choix sans regret du PTEF : pousser tous les leviers à disposition – les renouvelables, le nucléaire et la sobriété – afin de limiter les risques d’échec d’atteinte du bon niveau de production d’électricité décarbonée d’ici 2035 et 2050. Les propositions du Rassemblement National (ralentissement du déploiement des énergies renouvelables, déploiement nucléaire au-delà des niveaux les plus forts proposés par RTE) constituent un pari qu’on peut qualifier d’extrêmement risqué et contre-indiqué par la logique prudente du PTEF.

De plus, l’enjeu énergétique ne se limite pas à décarboner la production d’électricité : s’affranchir des énergies fossiles implique de réussir une électrification intense et rapide tout en conservant une électricité bas carbone, mais aussi de mobiliser d’autres vecteurs d’énergie qu’il faut également décarboner.  Aucun programme ne propose de véritable piste pour planifier le repli des infrastructures d’acheminement et de vente de ces énergies, qui seront pourtant amenées à se résorber fortement dans une économie décarbonée..

Les trois programmes formulent des propositions concernant les prix de l’énergie. Le PTEF n’ayant pas étudié de manière consolidée les enjeux liés au prix, elles ne sont pas intégrées dans cette analyse. Ce que le PTEF préconise, cependant, c’est d’accompagner les ménages et industries dans l’effort de sobriété sur la consommation des énergies fossiles et de leur substitution par d’autres vecteurs. Toute volonté d’agir sur les prix doit donc s’assurer qu’elle reste compatible avec une réduction de la dépendance aux fossiles.

Autres thématiques

Au-delà de la réduction des émissions de gaz à effet de serre et de l’émancipation des énergies fossiles, d’autres éléments sont structurants pour penser les enjeux énergie-climat. Cette revue des thématiques abordées dans les programmes s’appuie sur le prisme d’analyse utilisé par le Shift en 2022.

Gouvernance

Seul le programme du Nouveau Front Populaire propose des mesures relatives à la gouvernance de la transition bas carbone. Certaines sont un simple rappel du cadre existant (“Mettre en place un plan climat visant la neutralité carbone en 2050”). D’autres vont plus loin : en particulier, la proposition de “Conditionner les aides aux entreprises au respect de critères environnementaux (…) au sein de l’entreprise” pourrait être cohérente avec les propositions du Shift si les émissions de gaz à effet de serre font bien partie des “critères environnementaux”. Le Shift proposait en effet des contreparties « décarbonantes » à l’aide publique accordée au secteur aéronautique et à l’aviation dans le contexte du Covid-19.

Sobriété

Aucune des trois coalitions ne propose de mesures de déclenchement et d’accompagnement de la sobriété (qu’elle soit individuelle, collective/organisationnelle ou structurelle).

Usages des sols

Seul le Nouveau Front Populaire mentionne des objectifs de renforcement des puits de carbone que sont les sols et les forêts : “Défendre les zones agricoles, naturelles et les zones humides” et “Protéger la forêt en garantissant la diversité des essences, avec une filière sylvicole respectueuse de la biodiversité et des sols”.

Matériaux critiques

Aucune des trois coalitions ne propose de mesures liées aux risques d’approvisionnement en matériaux critiques.

Emploi et formation

Aucune des trois coalition ne fait de proposition relative aux enjeux d’emplois et de compétences liés spécifiquement à la décarbonation de notre économie.

Adaptation au changement climatique

Ensemble propose de “permettr[e] aux entreprises d’adapter les horaires de travail en période de canicule, notamment pour les travailleurs très exposés comme ceux du BTP” et “d’accompagner les foyers concernés par le retrait/gonflement des argiles”.

Dans le même esprit, le Nouveau Front Populaire propose d’adopter un plan national d’adaptation au changement climatique notamment pour les infrastructures et les protections des personnes et de leurs biens (prise en charge facilitée des dommages liés au retrait-gonflement des argiles, droit à l’assurance)” et de “définir les seuils maximaux de températures pour les travailleurs et travailleuses en cas de fortes chaleurs

Le Shift ne formule pas de proposition précise à ce sujet, mais ces mesures vont dans le sens d’une prise en compte des enjeux d’adaptation au changement climatique.

Une des mesures proposée par le Nouveau Front Populaire peut se rapporter aux travaux du Shift Project : “mettre en place des règles précises de partage de l’eau sur l’ensemble des activités”. Il est en effet nécessaire de renforcer la gouvernance des ressources qui sont susceptibles de faire l’objet de conflits d’usage. Or le développement des sécheresses, causé par le changement climatique, renforcera les conflits d’usage actuels autour de la ressource en eau.

Contact

Maxime Efoui-Hess, Coordinateur de la note | maxime.efoui@theshiftproject.org


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