Chaudières gaz : oui, il faut interdire leur installation dans la plupart des cas, estime le Shift Project

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Dans le cadre des travaux de planification écologique, le gouvernement a mené une concertation publique sur la décarbonation du secteur du bâtiment et, en particulier, sur l’accélération de la décarbonation des moyens de chauffage dans le bâtiment du 5 juin au 28 juillet 2023. The Shift Project a répondu à cette concertation ; le Cercle  Thématique Urbanisme & Bâtiments de The Shifters a également souhaité répondre.

Pour le Shift Project, il faut diviser la consommation de gaz au moins par 2 d’ici 2030, donc réduire d’au moins 25% le parc de chaudières gaz, en particulier dans les logements les plus énergivores

En vue d’atteindre la neutralité carbone en 2050, le Secrétariat Général à la Planification Ecologique (SGPE) propose une division par 2 de la consommation de gaz entre 2021 (355 TWh, dont 213 TWh dans les bâtiments) et 2030 (184 TWh utilisés à environ 50% dans les bâtiments, et où le biométhane représentera 44 TWh soit moins de 25 % du total). Pour The Shift Project, ces objectifs sont bien le minimum de réduction de la consommation à obtenir : davantage serait mieux.

Le SGPE donne un signal clair « l’atteinte des objectifs 2030 n’est pas possible sans la suppression d’une part du parc de chaudières gaz », fixée à 25 %[1]. « Le verdissement progressif du gaz ne remet pas en cause ce constat, d’autant qu’à long terme la contrainte sur les ressources biomasse conduira à allouer le gaz renouvelable à des secteurs plus difficiles à décarboner ».

Et en effet, la réduction au bon rythme des émissions de gaz à effet de serre nécessite cette division par deux de la consommation de gaz fossile, d’autant plus urgente que le marché mondial du gaz se tend pour des raisons géopolitiques sur fond de déplétion des puits[2] et de tensions militaires.

Pour une hiérarchisation des usages : le biogaz, une ressource rare aujourd’hui et demain, dont la disponibilité est cruciale pour certaines activités difficiles à décarboner

Etant donné la production limitée de biométhane, aujourd’hui mais également en 2030 et à terme, due au manque de disponibilité de biomasse, il faut prioriser les usages du biométhane en favorisant les usages où les alternatives seront les plus difficiles à mettre en œuvre, ce qui exclut de l’utiliser significativement dans le bâtiment. Une partie du biogaz sera produit trop loin des réseaux et devra être utilisé directement (carburant pour tracteurs, par exemple) ; une autre partie devra être réservée aux industries ; enfin, selon la « hiérarchie des usages », une part conséquente de la biomasse devra être réservée à d’autres usages que la transformation en biogaz[3]. Ceci doit conduire tous les acteurs, à l’instar du SGPE, à annoncer clairement et dès à présent que les usages diffus dans le bâtiment ne seront pas prioritaires et à agir sur cette base.

Interdire au plus vite le gaz dans les bâtiments neufs

Le message doit être clair sur la suppression des énergies fossiles dans les usages diffus du bâtiment, et en conséquence sur la suppression des aides aux équipements qui en consomment. Cependant, l’acceptabilité de l’interdiction du gaz dépend de l’existence d’alternatives raisonnables, techniquement et économiquement.

Il faut différencier la trajectoire d’interdiction entre logement collectif (LC) et maison individuelle (MI), et, au sein des LC, chauffage individuel et collectif, construction neuve et bâti ancien, avec contraintes architecturales ou non, propriétaires occupants vs propriétaires bailleurs + locataires, etc.

Déjà opérationnalisée par la RE2020 en maison individuelle neuve, l’interdiction du gaz n’est pas encore une réalité dans le collectif neuf. En effet, la RE2020 permet encore leur installation au-delà de 2025 moyennant un complément d’isolation[4]. Ce mode de chauffage est plutôt usité dans les petites opérations collectives, pour lesquels des solutions PAC sont pourtant disponibles.

En conséquence, une approche typologique plus détaillée semble donc appropriée. Il nous paraît tout à fait possible et impératif de :

      • Interdire les chaudières individuelles au gaz dans tous les bâtiments neufs, dans la mesure où l’on sait qu’elles seront plus difficiles à substituer par des modes décarbonés que les chaudières collectives, où les bâtiments peuvent être pensés dès le départ pour des solutions totalement décarbonées.
      • Interdire les chaudières au gaz collectives dans les petits bâtiments collectifs neufs (moins de 50 logements) ; les PAC y sont déjà adéquates, autorisant à éviter toute installation au gaz.
      • Autoriser par dérogation les chaudières collectives au gaz pour certains grands bâtiments neufs (50 logements et plus) en mesure de prouver l’absence d’alternatives. En effet, les solutions PAC y sont moins développées et les alternatives (RCU, biomasse) pas toujours disponibles ou adaptées, le calendrier peut être plus lent, dans l’attente du développement de solutions permettant de répondre à ce segment.

Chaque logement doit disposer d’une étude de faisabilité technico-économique opposable adaptée à son bâti et réaliste. Les CEE (Certificats d’Economies d’Energies) pourraient être un moyen de les aider financièrement. Puisqu’il s’agit de réduire les émissions de CO2, le Shift Project estime qu’il serait pertinent d’ajouter aux aides (CEE, MPR, etc) un critère CO2, en plus du critère énergétique, à l’instar du DPE.

Planifier conjointement la réduction du parc d’équipements gaz (chaudières et gazinières) et l’adaptation du réseau de gaz (débranchements et démantèlements d’antennes)

D’une manière générale, il est absolument nécessaire d’envisager la politique de décarbonation du bâtiment de façon intégrée avec la politique de gestion des réseaux énergétiques, en convoquant les gestionnaires de ces réseaux électrique et gazier pour faire face à plusieurs risques :

    • Le risque de lock-in technologique : une réduction progressive de la consommation de gaz ne doit pas générer de verrouillage technologique, car le risque est fort que la production de biogaz ne soit pas au niveau attendu en 2050 (le volume de biométhane devrait représenter de environ 100 TWh selon le scénario le plus « sobre » de l’ADEME à environ 340 TWh selon le très optimiste GRT Gaz, en passant par 120 TWh dans le Plan de transformation de l’économie française – PTEF du Shift Project ou environ 160 TWh dans le scénario AMS-SNBC 2019). Or la durée de vie d’une chaudière gaz est d’environ 20 ans, idem pour une chaudière/PAC gaz hybride. Installer des technologies dépendantes du gaz au-delà de 2030 ne devra donc se faire qu’avec grande parcimonie.
    • L’augmentation des coûts de réseau de gaz : la réduction de consommation programmée du gaz naturel doit s’accompagner d’une réduction des coûts (fixes, majoritairement) de réseau, sinon le coût pour les usagers résiduels, qui devront le supporter intégralement, sera insoutenable. La CRE a commencé à instruire la question[5]. Ses « enseignements n° 6 et 7[6] mériteraient d’être détaillés afin de parvenir à un abandon d’actifs plus rapide et moins limité, calé sur le rythme de baisse de consommation. Des expérimentations de démantèlement partiel du réseau de gaz pourraient être réalisées sur certains territoires, y compris ceux desservis par des ELD (Entreprises Locales de Distribution), en capitalisant sur le retour d’expérience de villes comme Zürich[7], ou Winterthur[8]. En effet, organiser des débranchements planifiés et des démantèlements d’antennes, en y coordonnant le remplacement des équipements de chauffage et de cuisson, est le seul moyen pour optimiser les coûts échoués. La puissance publique doit mettre fin aux subventions des équipements au gaz (chauffage et cuisson) et planifier le démantèlement du réseau, faute de quoi les consommateurs résiduels payeront des coûts fixes échoués pénalisants et déraisonnables par rapport à la quantité de gaz couverte par le contrat, et le distributeur ne pourra optimiser ses coûts. Autrement dit, il faut éviter que quelques ménages restant équipés de chaudières gaz payent la totalité des coûts fixes pour le maintien de plusieurs centaines de mètres de réseau.
      • Des « Certificats de Déconnexion » pourraient rémunérer GRdF à chaque fois que l’entreprise déconnectera un consommateur du gaz voire pour la clôture de branches du réseau devenues obsolètes. GRdF serait ainsi encouragé à organiser la déconnexion des antennes sur les branches du réseau les plus coûteuses. GRdF serait donc encouragé à organiser de manière rationnelle la déconnexion des branches du réseau les plus coûteuses. Cela implique de soutenir la transition des consommateurs et bâtiments de ces branches, y compris par des opérations de financement ciblés sur les cas difficiles. La mise en place de tels certificats par la puissance publique pourrait ainsi accélérer et optimiser financièrement le démantèlement du réseau de distribution, tout en évitant les situations de blocage.
      • L’extinction du parc d’équipements de cuisson au gaz (gazinières) : pour les mêmes raisons climatiques et de prise en compte des dynamiques sur les coûts fixes du réseau, et en cohérence avec la planification de la réduction du parc de chaudières et du démantèlement du réseau de distribution de gaz, la puissance publique et les grands opérateurs réseau doivent planifier la fin des équipements de cuisson au gaz. Il convient enfin que le ministère dispose d’une évaluation réaliste de l’impact complémentaire de l’électrification progressive de la cuisson sur la pointe électrique hivernale. A court terme, l’installation de gazinières dans les bâtiments neufs doit être interdite au même titre que celle des chaudières gaz individuelles. A moyen terme, c’est leur commercialisation qui doit prendre fin.
    • Les remplacements des équipements gaziers dans l’urgence. Le Shift Project considère que des aides devront inciter à changer une chaudière fossile avant son obsolescence naturelle, à la condition que l’équipement de remplacement soit sans fossile. Anticiper la fin de vie des équipements de chauffage permet d’éviter la panne en début de saison de chauffe, qui induit un remplacement dans l’urgence, donc sans possibilité d’une étude détaillée des options possibles (PAC, réseau de chaleur, biomasse, etc) pour changer d’énergie. Les aides devraient inclure – voire être conditionnées à – l’étude préventive de l’installation d’une PAC, c’est-à-dire la « heat pump readiness », comme proposé par le think tank BPIE[9] et comme pratiqué par le gouvernement du Royaume-Uni[10].
[1] https://www.gouvernement.fr/upload/media/content/0001/06/5c69b301c13d5d591078031ffbde23156227028c.pdf  – Voir page 29
[2] Voir https://theshiftproject.org/article/gaz-risques-approvisionnement-ue-rapport-shift-project/ ou encore https://www.carbone4.com/analyse-gnl-strategie-long-terme
[3] Voir Stratégie Nationale de Mobilisation de la Biomasse (SNMB), p.29 : « La hiérarchie des usages est la suivante : aliments puis bio-fertilisants, puis matériaux, puis molécules, puis carburants liquides, puis gaz, puis chaleur, puis électricité » mise en ligne en 2018 par le ministère (https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Strat%C3%A9gie%20Nationale%20de%20Mobilisation%20de%20la%20Biomasse.pdf) et plus récemment La planification écologique dans l’énergie, p13-15, par le SGPE (https://www.gouvernement.fr/upload/media/content/0001/06/b2be9a22d052f9e36065e4a6ad765c6536942939.pdf) https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Strat%C3%A9gie%20Nationale%20de%20Mobilisation%20de%20la%20Biomasse.pdf
[4] Pouget Consultants pour la DGALN, Étude sur les freins et les leviers à la diffusion de la pompe à chaleur en logement collectif, https://rt-re-batiment.developpement-durable.gouv.fr/etude-sur-les-freins-et-les-leviers-a-la-diffusion-a713.html
[5] https://www.cre.fr/Actualites/la-cre-publie-son-rapport-sur-l-avenir-des-infrastructures-gazieres
[6] « 6. Le réseau de distribution de gaz a été largement renouvelé ces dernières années. Dans l’ensemble des scénarios, il restera, dans une vision nationale, nécessaire et essentiellement dimensionné pour la production de gaz vert. Localement néanmoins, en fonction des configurations, certains actifs pourraient être abandonnés, dans une proportion qui devrait rester très limitée ». Et « 7. Pour optimiser le réseau de distribution nécessaire à terme, il pourrait être pertinent de mener dès à présent un exercice de coordination locale, en priorité dans les zones avec des projets de développement de réseaux de chaleur. À plus long terme et en fonction de la baisse effective de la consommation, il semble plus pertinent dans une stricte logique d’optimisation du réseau à maintenir localement, de tendre vers une sortie de l’usage gaz à la maille locale, plutôt que d’interdire des usages spécifiques à la maille nationale ».
[7] https://www.npr.org/2022/04/20/1092429073/to-fight-climate-change-and-now-russia-too-zurich-turns-off-natural-gas?t=1652950580466
[8] https://energy-cities.eu/we-no-longer-need-a-gas-pipeline-network-in-residential-areas/
[9] https://www.bpie.eu/publication/introducing-the-heat-pump-readiness-indicator-how-to-make-energy-performance-certificates-fit-for-heat-pumps/#
[10] https://www.gov.uk/government/publications/heat-pump-ready-programme

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