06 mars 2018
La fin du charbon au menu du gouvernement allemand ?
Traduction et décryptage de l’accord de coalition
Lire l'accord06 mars 2018
Traduction et décryptage de l’accord de coalition
Lire l'accordL’accord de coalition validé, les deux principaux partis de la République Fédérale d’Allemagne vont former un gouvernement. The Shift Project a traduit la partie dédiée à l’énergie et au climat de leur programme, qui annonce l’avenir de l’Energiewende. Décryptage.
Les premières échéances arrivent pour les objectifs climats du pays, et l’ambiance n’est pas à la fête. Certes, l’Allemagne a réduit ses émissions de 27% par rapport à 1990. Mais l’objectif d’une réduction de 40% en 2020, pourtant juridiquement contraignant en droit européen, semble hors de portée. L’État allemand sera-t-il attaqué devant la Cour de Justice de l’Union européenne, par un État membre ou par la Commission européenne, pour manquement à ses obligations ?
Le contrat de coalition reconnaît en tout cas la difficulté d’atteindre l’objectif de -40% en 2020, tout en affirmant celui de 55% en 2030. Un autre objectif, en ligne avec l’Accord de Paris et déjà adopté en France, apparaît aussi : celui d’« atteindre au plus tard dans la deuxième moitié du siècle une quasi-neutralité au niveau mondial en matière de gaz à effet de serre. »Ayant pris acte de l’impossibilité d’atteindre l’objectif 2020, les deux partis ont d’abord annoncé vouloir le reporter. Mais cette annonce a déclenché en Allemagne un tollé parmi la société civile et les élus de tous bords. Le contrat propose la nomination d’une commission spéciale pour approcher autant que possible de l’objectif 2020, et atteindre à temps celui de 2030. Les conclusions de cette commission alimenteront le Parlement allemand, qui votera dès 2019 un projet de loi visant à permettre d’atteindre les objectifs 2030.
La commission annoncée n’a pas uniquement mandat pour traiter des objectifs 2020 et 2030, elle a aussi le mandat spécifique de planifier la fin du charbon dans l’électricité, de décider des mesures d’accompagnement et de prévoir le financement des mutations structurelles pour les régions touchées. Peter Altmaier, le nouveau ministre de l’Économie et de l’Énergie au pragmatisme légendaire, sera-t-il l’artisan de la sortie de l’Allemagne du charbon ?
Le contrat de coalition n’annonce pas d’objectif chiffré de réduction de l’usage du charbon dans la production d’électricité. Cependant, l’objectif de renouvelables dans l’électricité, aujourd’hui de 50% en 2030, passe à 65% en 2030. Mathématiquement, le total du charbon et du gaz naturel (55% environ du mix actuel) ne pourra alors représenter plus de 35% de la production d’électricité en 2030 (soit une baisse implicite d’un peu plus d’un tiers). La part des renouvelables dans le mix électrique, aujourd’hui de 36%, doit donc doubler en 12 ans.
Des interrogations demeurent néanmoins, sur la part de gaz par rapport au charbon, la part de gaz renouvelable dans le mix gaz et le caractère véritablement bas-carbone du gaz renouvelable. Ou encore sur l’évolution des coûts de maintien de la stabilité du système électrique face à la montée des productions variables (raccordements, stockage, gestion de la demande et des pics de consommation, effacement, etc). Reste que la perspective est désormais claire : de
« non au nucléaire, oui aux renouvelables », on passe à « oui aux renouvelables, non au charbon ».
Outre pointer vers la sortie du charbon, le contrat de coalition affirme la nécessité d’agir particulièrement dans les secteurs des transports, du bâtiment et de l’industrie, sans oublier le rôle de l’agriculture. C’est-à-dire que tous les secteurs doivent fortement contribuer pour que l’Allemagne atteigne ses objectifs. Une situation pas si différente de celle de la France, si on fait abstraction de l’électricité déjà largement décarbonée dont dispose l’hexagone, comme l’a rappelé le CESE dans son avis du 28 février 2018.
Bonne nouvelle, le sujet des transports n’est pas résumé à celui des véhicules électriques, mais met en avant la nécessité de penser le système de mobilité dans son ensemble et de développer les formes de mobilités alternatives aux véhicules classiques. Le contrat annonce la mise en place d’une commission et consultation spéciale pour planifier un « futur de la mobilité » qui soit « abordable et durable », dans une démarche similaire à celle des Assises de la mobilité en France.
Seront particulièrement abordés « la mobilité électrique, des transports publics et ferroviaires, des moteurs à explosion plus propres et efficaces, ainsi que la modernisation et la stabilisation des ressources dans le cadre du Forum national diesel » et la politique du vélo dans le périurbain. Le ferroviaire rural sera renforcé et un objectif de doublement du nombre de clients du train est fixé pour 2030, alors que l’État Fédéral ne se concentrera « pas sur la maximisation des profits, mais sur une maximisation significative du trafic ferroviaire ». Le secteur du bâtiment fera l’objet d’une procédure de concertation et de planification similaire.
Le contrat de coalition annonce aussi la volonté de promouvoir au niveau international « un système de tarification du CO2 qui soit autant que possible mis en place au niveau mondial, et qui comprenne en tout cas les pays du G20 ». Au niveau européen, le contrat met en avant la volonté de « renforcer le système d’échange de quotas d’émission comme instrument pilote de la lutte contre le changement climatique ». Y figure aussi le vœu d’une coopération franco-allemande renforcée « sur la mise en œuvre de l’Accord de Paris » et la poursuite engagements One Planet Summit. Un écho singulier à la résolution commune des parlements français et allemands du 22 janvier 2018 qui invitait plus spécifiquement « à proposer des initiatives communes notamment en matière de prix du carbone ».
Entre les lignes se perpétue cependant un paradoxe bien connu : affirmer d’un côté la nécessité d’être en avance et de renforcer le prix du carbone, donc son signal prix, et donc le niveau et la prévisibilité de ce prix pour maintenir cette avance ; mais affirmer en même temps la nécessité d’attendre que les autres États mettent en place les mêmes mesures pour les mettre en place à domicile. Qui osera tirer le premier, au risque d’être seul à court terme, et au bénéfice de mieux préparer son économie à long terme ?
L’Allemagne et la France pourront-ils s’accorder, par exemple, pour mettre en place conjointement un prix plancher du carbone sur la production d’électricité ? Beaucoup d’éléments économiques et environnementaux plaident en faveur de cette solution, qui n’en demeure pas moins politiquement difficile pour les dirigeants allemands. Dernier témoin en date, le Conseil économique de la CDU, qui dans un papier du 2 mars 2018 rejette fermement cette perspective alors que les appels favorables à ce prix plancher se multiplient en Allemagne.
Lors des élections 27 septembre dernier, les sociaux-démocrates du SPD et les conservateurs de la CDU-CSU ont obtenu les pires scores de leur histoire. Avec 20,5% des voix, le SPD baisse de 5 points par rapport aux dernières élections fédérales en 2013. Avec 33% des voix, la CDU-CSU baisse de 8 points.
Après l’échec des négociations entre la CDU-CSU, les libéraux du FDP et les Verts à l’automne, les conservateurs et les sociaux-démocrates ont, non sans remous internes, accepté d’entamer les négociations en vue d’une coalition de gouvernement. La « Grosse Koalition » dans la langue de Goethe et « GroKo » pour les intimes se fait sur la base d’un accord de coalition : le « Koalitionsvertrag ». En Allemagne, ces accords déterminent les priorités gouvernementales des 4 prochaines années, et ont été jusqu’à maintenant véritablement appliqués.
Le 7 février dernier, les deux partis ont publié leur projet d’Accord de coalition. Le projet a été validé le 26 février par la direction de la CDU, avec 97% d’approbation. Entre le 20 février et le 2 mars, les 464 000 adhérents du SPD étaient appelés à voter pour ou contre l’accord. Après une campagne difficile, le « oui » l’a finalement emporté à la large majorité de 66%.
La répartition des postes ministériels entre les deux partis est déjà connue, de même que l’identité de certains ministres. Aux sociaux-démocrates iraient le puissant ministère des Finances (Olaf Scholz, maire de Hambourg), l’Environnement dont fait partie la sûreté nucléaire et les Affaires étrangères. Aux conservateurs iraient la chancellerie (Angela Merkel, pour un quatrième mandat), le grand ministère de l’Économie et de l’Énergie (Peter Altmaier, proche de la chancelière et ancien directeur la chancellerie fédérale) et l’Agriculture (Julia Klöckner).
Des deux côtés du Rhin, le climat et l’énergie semblent être plus proches des priorités politiques que par le passé. En Allemagne, le sujet a été au cœur des négociations entre conservateurs, libéraux et verts en octobre 2017 et aurait contribué à leur échec. Puis il a fait les titres de la presse allemande lors des hésitations des conservateurs et des sociaux-démocrates en janvier 2018. Angela Merkel, qui s’était fait connaître à la fin des années 2000 comme « Klimakanzlerin », entamera le 14 mars son quatrième mandat. En France, le climat est devenu un sujet présidentiel.
Pour réussir, nos gouvernements doivent prendre la mesure physique et économique de leurs ambitions pour le climat, et agir en conséquence. Hérauts internationaux du climat, la Chancelière allemande et le Président français gagneraient à ce que les trajectoires d’émissions des pays qu’ils dirigent soient conformes à l’Accord de Paris. Si nos deux pays échouent, ensemble ou séparément, qui y arrivera ?
Nous remercions les bénévoles de l’association The Shifters Olivier Descout, Clément Le Priol, Jean-Louis Clauzier, Bruno Clavier et Arnaud Leroy, qui ont réalisé la traduction du contrat de coalition.
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