The Shift Project salue la pertinence du diagnostic posé par la loi d’orientation des mobilités (LOM) présentée le 26 novembre par la ministre des Transports. Cependant, ce texte rate l’objectif qui devrait être le sien : montrer que l’on peut combiner réduction des émissions liées à la mobilité quotidienne tout en préservant, voire en améliorant, le budget des ménages. The Shift Project note donc qu’en l’état, cette loi ne constitue pas la réponse qui aurait pu être faite au mouvement des « gilets jaunes ». À charge pour les collectivités qui sont au centre du dispositif d’apporter les bonnes réponses, mais sans moyens affectés.
La nécessaire reconnaissance d’autres modes de transport quotidiens
Près de 36 ans après la dernière grande loi d’organisation des transports, la vision proposée par le projet de loi d’Elisabeth Borne, précédée d’une large concertation avec la société civile, est louable : elle donne la priorité aux mobilités du quotidien et vise à traiter la question des « zones blanches de la mobilité » où les habitants sont « assignés à résidence » s’ils n’ont pas accès à une voiture.
Elle s’inscrit par ailleurs dans une approche qui vise à mettre en évidence l’intérêt d’autres modes de transports que la voiture en solo. Le passage du terme « transport » par celui de « mobilité », du code des Transports constitue une avancée majeure. De même, la mise en place d’un forfait mobilité durable – facultative et défiscalisée pour l’employeur – doit par exemple permettre aux employeurs de contribuer jusqu’à 400€ par an et par salarié aux frais de déplacement domicile-travail réalisés en covoiturage ou en vélo (la part défiscalisée de l’Indemnité Kilométrique Vélo était, elle, limitée à 200€). On note également que les avancées présentées dans le plan vélo sont confirmées, ainsi que les moyens associés.
La balle dans le camp des collectivités… mais sans les moyens assortis
Le cadre posé par cette loi est clair : la mobilité est désormais la responsabilité des collectivités locales. La LOM prévoit donc davantage de compétences en matière de mobilité aux « autorités organisatrices de la mobilité » (AOM), mais elle oublie cependant d’accompagner cette délégation des moyens nécessaires à la mise en œuvre de ces solutions.
Le texte prévoit que l’ensemble du territoire soit couvert par une autorité organisatrice de la mobilité (80% du territoire représentant 23% de la population en sont encore dépourvus). Les intercommunalités sont invitées à se saisir de cette compétence et à mettre en place une taxe sur les entreprises (« versement mobilité ») pour financer cette activité. A défaut, les régions sont désignées pour exercer cette compétence. Rien n’est prévu pour les nombreuses collectivités dont les ressources limitées ne permettront pas de créer un réseau de transport.
L’affirmation de cette nouvelle structuration de la mobilité autour des collectivités vient par ailleurs confirmer l’intérêt du nouveau projet de « Guide de la mobilité quotidienne bas carbone » porté par The Shift Project, qui vise à proposer aux acteurs territoriaux un outil d’aide à l’action et les clés pour réussir le développement massif de la mobilité bas-carbone dans leurs territoires. Ce guide s’appuiera sur l’expérience des territoires, et permettra de mettre en lumière les barrières qui les empêchent aujourd’hui de mettre en œuvre de telles solutions.
Des signaux contradictoires
En termes de moyens, on peut s’étonner du budget en nette hausse alloué aux investissements dans le réseau routier, qui environne les 900 millions d’euros par an, tandis que ceux consentis pour le système vélo plafonnent à 350 millions d’euros sur l’ensemble de la période (soit 70 millions/an), alors même que son réseau à lui reste à construire… On parle d’« entretenir et moderniser les réseaux » ferroviaires et routiers, tandis que l’on parle de « développer la pratique » du vélo, sans mettre au centre du dispositif le développement de l’infrastructure, pourtant primordiale. Le changement de paradigme ici fait encore défaut.
Cette loi devait également mettre de côté les « grands projets », notamment ferroviaires et routiers, tant décriés. Ce n’est cependant pas ce qui ressort du texte. En effet, la plupart d’entre eux, comme par exemple la ligne nouvelle Provence Côte d’Azur, ou encore la ligne Lyon-Turin, sont toujours programmés : des moyens qui n’iront pas à la mobilité quotidienne.
Les rares mesures mettant des contraintes supplémentaires sur l’utilisation de la voiture et sur les poids lourds ont disparu de ce dernier texte : le péage urbain, ainsi que la vignette poids lourds, qui était censée rapporter entre 320 et 560 millions d’euros par an pour financer l’entretien des infrastructures, ont été abandonnés.
Le texte est donc une sorte de « liste à la Prévert », mais qui ne hiérarchise pas les priorités, et qui renonce à se doter des moyens suffisants. Or, sans les 500 millions d’euros qui devaient provenir de la vignette poids lourds, on peut légitimement se poser la question de ce qui demeurera : les grands projets ou la mobilité du quotidien ?
De même, la réforme du permis de conduire prévoit de réduire les délais associés et d’en baisser le coût : les jeunes pourront ainsi plus facilement s’équiper d’une voiture… pour ensuite aller enfiler leur gilet jaune, horrifiés par le coût d’usage de leur nouveau véhicule dont on les a incités à s’équiper ? Or le gouvernement veut par ailleurs dissuader les usagers de prendre leurs voitures en augmentant le prix du carburant : où se trouve la cohérence ?
Et des absences remarquables
Ces jeunes (et moins jeunes) n’auront d’ailleurs d’autre choix puisque, parmi les grands absents de cette loi tant attendue, l’aménagement du territoire est à peine évoqué, alors que celui-ci est à l’origine de la problématique « mobilité », et en est en même temps la clef. On continue de faire comme si la structuration du territoire, qui se caractérise par un étalement urbain chaque année croissant, était dissociée de la question de la mobilité, alors qu’elle devrait en être l’élément central.
Si les « mobilités actives » font une entrée dans le droit en bénéficiant pour la première fois d’une définition positive, le développement du vélo ne fait l’objet d’aucune mesure concrète additionnelle au plan vélo de septembre. La marchabilité du territoire n’est quant à elle nulle part abordée.Comment se rendra-t-on à l’arrêt de bus sans avoir à raser le bas-côté ? Il faudra repasser. L’énumération des mobilités actives (marche, vélo, vélo électrique) a d’ailleurs disparu par rapport au premier état du projet de LOM.
De même, plusieurs éléments attendus sur le covoiturage ont disparu du projet de loi. Contrairement aux versions précédentes, la dernière mouture du texte ne fait plus référence au fait que les AOM peuvent prendre toutes mesures pour favoriser ou créer un ou des services de covoiturage : on revient à un état d’incertitude sur les compétences des collectivités en matière de création, d’initiative et d’organisation des services de covoiturage.
Un projet de loi complètement passé sous silence dans un débat public pourtant crispé autour du coût de la mobilité
Cette loi a finalement une portée très limitée par rapport à la Loi d’Orientation des Transports Intérieurs (LOTI) de 1982, qui avait été extrêmement structurante pour le secteur. On ne peut en effet pas dire la même chose de la LOM, qui liste beaucoup de mesures mais ne restructure pas vraiment le système des mobilités autour de nouvelles priorités.
Le fait qu’aucun responsable politique n’invoque la loi LOM face au mouvement des Gilets Jaunes met en évidence le manque d’ambition de cette loi, qui devrait (et pourrait) pourtant apporter des réponses aux revendications de cette mobilisation.
Rendez-vous dans quelques mois (probablement en février prochain) lorsque ce texte sera débattu au Parlement : les députés auront-ils su lui rendre sa substance ?
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