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La double contrainte carbone

Climat, énergie : les bases de la double contrainte carbone

La pandémie de Covid-19 nous a rappelé que « l’environnement » biologique, géologique, climatique, n’est pas extérieur aux sociétés humaines. L’ensemble de la société est déjà soumis, et le sera encore davantage, à des contraintes naturelles fortes avec lesquelles elle ne pourra prospérer qu’au prix de transformations profondes. 

Parmi ces contraintes, celle que The Shift Project étudie principalement et a nommé « la double contrainte carbone » : en aval le changement climatique et en amont l’épuisement des énergies fossiles.

  • Le changement climatique est causé par des émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine et fait peser sur la société et plus généralement sur le vivant des risques d’une ampleur inédite. Ces risques sont décrits et évalués depuis plus de trois décennies par le GIEC (groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). 
  • L’épuisement des énergies fossiles (pétrole, charbon, gaz) nous expose à un risque sur leur approvisionnement, particulièrement pour le pétrole en Europe. Dans un contexte de forte dépendance aux hydrocarbures, une baisse de leur disponibilité menace le fonctionnement actuel de la plupart des sociétés humaines. Un risque d’approvisionnement existe également pour certains métaux et pour d’autres matières premières.

Enfin, d’autres contraintes environnementales pèsent sur les sociétés humaines et mettent en évidence tout autant de besoins de transformations majeures. Elles découlent de phénomènes tels que la perte de biodiversité, la fragilisation des écosystèmes et des services qu’ils nous rendent, la dégradation des sols, les crises sanitaires, etc. Sans compter les troubles géopolitiques que ces contraintes peuvent provoquer ou aggraver davantage. The Shift Project n’étudie pas directement ces enjeux mais s’intéresse aux moyens d’améliorer la résilience des sociétés et la robustesse de leurs transitions, qui visent à s’affranchir le plus largement et efficacement possible de ces contraintes.

D’où vient le changement climatique ?

Depuis la révolution industrielle, l’humanité a émis des quantités de gaz à effet de serre (GES) à un rythme sans précédent depuis des millions d’années. Le dioxyde de carbone (CO2) est le principal GES émis qui s’accumule dans l’atmosphère pour des dizaines de milliers d’années. Avant la révolution industrielle, la température moyenne à la surface de la Terre était relativement stable depuis plus de 15.000 ans, permettant la sédentarisation et le développement de l’agriculture. Dorénavant, les activités humaines amplifient l’effet de serre naturel, augmentant abruptement la température de la planète avec une modification significative de tout l’équilibre climatique (cycle de l’eau, etc.). L’accumulation des GES dans l’atmosphère conduit à un réchauffement global estimé à 1,3 °C  en 2023 par rapport à l’époque pré-industrielle. A ce jour, les émissions mondiales de GES continuent de croître, menaçant d’un réchauffement planétaire de l’ordre de 1,5 °C d’ici au début de la décennie 2030 au plus tard.

[Figure 1 – Hausse des émissions de CO2 et la température annuelles au niveau mondial] A gauche : Hausse des émissions annuelles de CO2. Source : Global Carbon Project 2024, traduction par The Shift Project A droite : Hausse de la température annuelle mondiale à la surface de la Terre, par rapport à l’époque préindustrielle. Source : Global Climate Highlight 2024, Copernicus, traduction par The Shift Project

Les émissions globales de CO (principal gaz à effet de serre) se sont élevées en 2023 à un niveau record de 41 milliards de tonnes. Elles peuvent être décomposées en deux catégories : 

  1. Les émissions liées à l’utilisation d’énergies fossiles et aux procédés industriels. Elles sont les plus importantes et représentent 37 milliards de tonnes de CO/an.3 Ces émissions proviennent principalement de la combustion des énergies fossiles (pétrole, gaz ou charbon), par exemple dans les transports (avions, voitures thermiques), pour le chauffage des bâtiments (au fioul ou gaz) ou pour la production d’électricité dans de nombreux pays encore. Plus marginalement, ces émissions proviennent de procédés industriels, soit par “l’oxydation chimique” des énergies fossiles (par exemple pour le raffinage de l’aluminium), soit par “la décomposition des carbonates” (dans la production de ciment).
  2. Les émissions liées à l’usage des terres, au changement d’affectation des sols et à la foresterie. Elles représentent près de 4 milliards de tonnes de CO/an.3 Ces émissions proviennent de l’agriculture, de la déforestation, de l’artificialisation, etc. Ces activités s’accompagnent d’émissions d’autres gaz à effet de serre comme le méthane, le protoxyde d’azote, etc.

Les énergies fossiles, carburant de la croissance actuelle, s’épuisent

L’énergie, principalement d’origine fossile (à près de 80 % aujourd’hui), a été et demeure un facteur essentiel de développement des sociétés thermo-industrielles. L’ensemble de nos biens et services s’appuie (directement ou indirectement) sur de l’énergie pour extraire, déplacer et transformer des ressources dont dépendent tous les secteurs de l’économie (de l’agriculture à l’industrie, en passant par le transport). L’accès à l’énergie joue ainsi un rôle de premier ordre dans l’expansion économique, sociale et démographique des sociétés humaines actuelles, comme l’ont pu jouer l’accès à la santé, à l’eau, à l’éducation, etc.

Cependant, nous sommes entrés dans une nouvelle ère en matière de disponibilité des ressources énergétiques. L’approvisionnement en énergies fossiles (pétrole, charbon, gaz) et en métaux (cuivre, lithium, nickel, cobalt, etc.) est contraint par leur disponibilité géologique et notre capacité technique et/ou économique à en exploiter les gisements. Bien que leur production soit pour le moment croissante, un pic dans leur extraction est attendu, à commencer par le pétrole, après quoi la quantité extraite chaque année se stabilise et/ou décroît. S’il est difficile d’anticiper avec précision quand chacun de ces pics adviendra, il est indéniable que la capacité d’approvisionnement du système économique est contrainte, à terme. Dans un rapport publié en 2021, The Shift Project estime que la production pétrolière totale des principaux fournisseurs actuels de l’Union européenne risque de s’établir dans le courant de la décennie 2030 à un niveau inférieur de 10 à 20 % à celui atteint en 2019.

Un futur incertain, des risques à fort impact potentiel

La poursuite au rythme actuel des émissions de gaz à effet de serre nous expose à des dommages croissants et irréversibles qui présentent des risques considérables. Pour les sociétés humaines, les enjeux énergie-climat se manifestent sous la forme de risques de deux natures. 

Risques « physiques »

Les risques physiques sont ceux associés aux conséquences physiques du réchauffement climatique : hausse de la fréquence et de l’intensité des extrêmes climatiques (canicules, incendies, inondations, sécheresses, tempêtes, etc.), élévation du niveau des mers, perturbation des pluies et des périodes de gel, etc. Parmi ces aléas, l’un des plus parlants est la sécheresse. Celle des sols va s’accentuer, avec des températures moyennes en augmentation et des vagues de chaleur de plus en plus fréquentes, y compris dès le printemps : de récents travaux indiquent que les épisodes intenses de sécheresse en Europe pourraient être dix fois plus fréquents et 70 % plus longs d’ici 2060. Au cours des quinze dernières années, la ressource en eau renouvelable en France métropolitaine a diminué de l’ordre de 14 %. 

Pour réduire les risques physiques liés au changement climatique, il est essentiel d’un côté de s’adapter en réduisant l’exposition des populations et leur vulnérabilité, et de l’autre en minimisant l’ampleur des conséquences physiques par la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Chaque dixième de réchauffement additionnel aggravera ces risques en :

  • menaçant la sécurité alimentaire planétaire (avec la baisse des rendements agricoles sur certaines cultures et zones géographiques)
  • augmentant le stress thermique et hydrique (avec la multiplication de pénuries d’eau et des conflits d’usage), questionnant l’habitabilité de certaines régions et alimentant des déplacements massifs de populations et des instabilités géopolitiques et sociales
  • menaçant la santé publique (avec la migration des vecteurs de maladies, menaçant l’homme et les animaux d’élevage, la hausse de l’incidence de maladies infectieuses, l’exposition croissante aux chaleurs extrêmes, la dégradation de la santé mentale)
  • favoriser des risques humanitaires systémiques, liés à des famines de grande ampleur ou à la submersion de larges parties de littoraux
  • perturber les activités économiques et leurs localisations, particulièrement les activités de production industrielle et agricole et les chaînes d’approvisionnement
  • plus généralement, dégrader les conditions élémentaires de vie des populations.

Ces risques physiques liés au changement climatique se distinguent de beaucoup d’autres risques (juridiques, professionnels, technologiques, etc.), notamment par les aspects suivants :

  • Leur caractère global, parfois irréversible, et donc leur ampleur, qui fait d’eux des risques potentiellement systémiques : ils affectent plus ou moins directement tous les secteurs de l’économie et sont donc en mesure de déstabiliser le secteur financier et celui des assurances.
  • La méconnaissance concernant leur temporalité, la manière de se manifester, leur combinaison, bien que l’on soit tout à fait capable d’évaluer l’ampleur de leurs impacts. Deux exemples récents en témoignent : la faillite soudaine du fournisseur de gaz et d’électricité PG&E après les incendies en Californie en 2017-2018 et la baisse du niveau du Rhin en 2018, limitant fortement le transport de marchandises sur cet axe.  Les exemples de risques (ou d’opportunités) géopolitiques liés aux flux de matières et de biens dans le contexte de changement climatique sont nombreux : tractations autour de l’ouverture de nouvelles routes maritimes dans l’océan Arctique, tensions géopolitiques autour d’un Groenland riche en ressources plus facilement accessibles, réduction du nombre de navires traversant le canal de Panama en raison de la sécheresse.
  • La fenêtre de tir, existante mais très fine, pour limiter ce réchauffement par des actions soutenues de manière cohérente sur le long terme. The Shift Project défend une planification de la décarbonation des activités humaines, rendue possible par une connaissance optimale des émissions de gaz à effet de serre de chaque secteur.
  • La difficulté croissante à résoudre le problème à mesure que s’allonge le retard. De nombreux facteurs complexifient la transition tant que le réchauffement continue : le coût financier croissant des dégâts à court-terme et la fragmentation géopolitique et sociale associée, le difficile passage à l’échelle de certaines technologies avec la limitation des ressources disponibles (énergies fossiles, minerais, …), la limite des solutions fondées sur la nature comme la reforestation (par manque d’espace, etc.).
  • L’impossibilité de raisonner en silo, au risque d’aggraver d’autres enjeux (comme préservation de la biodiversité) et d’aller vers de la « maladaptation » en adoptant des solutions contre-productives à plus long terme (comme la climatisation).

Risques de « transition » et opportunités

Les risques de transition recouvrent l’ensemble des risques associés à la restructuration de l’économie et des modes de vie pour se décarboner. Ils sont, entre autres, liés au changement de notre système de production, de consommation d’énergie et à la réorganisation territoriale qui en découlerait.

Les industries et les modes de vie des sociétés humaines sont aujourd’hui largement dimensionnés pour l’usage d’hydrocarbures. Passer à un système consommant peu d’énergies fossiles et n’émettant plus de gaz à effet de serre implique donc des transformations profondes et cohérentes. 

Pour les entreprises, de tels changements exposent notamment à :

  • des risques liés à des mesures politiques (de tarification croissante des émissions de gaz à effet de serre, d’évolution des normes, d’obligations de baisse des émissions, etc.)
  • des risques liés à une transition technologique (substituer les technologies actuelles par de nouvelles technologies décarbonées peut être très onéreux, si ce n’est impossible, etc.)
  • des risques de réputation et de marché (liés au changement de comportement des consommateurs, au name and shame, etc.).

Pour les populations, un monde en transition est avant tout bénéfique. Il permet de réduire les risques physiques liés au changement climatique et leurs conséquences socio-économiques (impliquant chômage, diminution de revenus, appauvrissement patrimonial, insécurité sanitaire et alimentaire, entre autres), et plus généralement de tendre vers les objectifs de développement durable. La transition expose cependant à d’autres risques sociétaux liés, par exemple, à une transformation de l’aménagement du territoire (une désurbanisation des grandes métropoles, parfois à une densification, etc.) ou à la baisse de la demande. Cela représente aussi une opportunité, par exemple d’adopter de nouveaux modes de vie plus durables, favorisés par des infrastructures et des mesures politiques plus efficaces et favorisant la sobriété. Ou encore une opportunité de rééquilibrage : une répartition juste des efforts à tous les niveaux, individuel comme international, est l’une des conditions de l’acceptabilité sociale de cette transformation (par une prise en compte différenciée de la responsabilité et des capacités d’action). Pour amoindrir les risques qui lui sont associés, la transition requiert de laisser le temps aux concertations, d’apporter une attention aux conséquences et à leur inégale manifestation, des ressources et un engagement de la puissance publique considérables.

Une transformation complexe à mettre en oeuvre

Les transformations décrites jusque ici (de système énergétique, agricole, productif, d’aménagement du territoire, etc.) sont par nature complexes à organiser, notamment car elles impliquent une multitude d’acteurs. Par ailleurs, elles nécessitent de questionner le recours aux énergies fossiles, qui ont permis jusqu’ici aux économies modernes de fonctionner et de se développer, et dont la quasi-totalité des pays (France compris) restent encore fortement dépendants. De tels changements affecteraient la plupart des flux d’énergie, de matières premières et transformées, de biens et de personnes. Ils concerneraient directement ou indirectement tous les secteurs de l’économie et auraient alors des conséquences sur l’emploi et les organisations.

Par ailleurs, la mise en œuvre de telles transformations est davantage complexifiée par l’augmentation de la fréquence des crises liées au dérèglement climatique. Lorsqu’une crise survient, la priorité va naturellement à la gestion de l’urgence : préservation des personnes, de la santé humaines et des biens, réparation des dégâts matériels directs puis rétablissement de l’économie à court terme. Il semble donc illusoire d’envisager que la décarbonation de notre économie soit plus facile à mener par l’avenir, en présence inéluctable de tensions croissantes.

Après de longues années de négociation, un consensus international a émergé sur la nécessité de réduire les émissions de GES dans chaque pays, aboutissant en 2015 à la signature de l’Accord de Paris par 194 pays. Cet accord engage chaque pays à agir afin de contenir le réchauffement planétaire bien en-deçà de 2°C et de poursuivre l’action menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5°C, par rapport à l’ère pré-industrielle.

A ce jour, les efforts des différents Etats en matière d’atténuation du changement climatique restent insuffisants pour respecter cet engagement. Les politiques actuelles ne permettraient de limiter la hausse mondiale de la température qu’à 3,1 °C d’ici 2100, bien loin de l’objectif de l’Accord de Paris. Pour maintenir le réchauffement planétaire sous les 2 °C, les émissions mondiales devraient être réduites d’au moins 4 % par an à partir de 2024 (et d’au moins 7,5 % par an pour respecter rester sous les 1,5 °C). Par ailleurs, si la baisse des émissions ne débutait qu’en 2030, ce rythme de réduction annuel des émissions s’élèverait à -8 % par an pour rester sous les 2°C. Ainsi, d’un côté, plus vite la réduction des émissions mondiales est entamée, plus la transformation des activités pourra se faire graduellement. A contrario, plus nous attendons pour agir, plus les ruptures à venir seront violentes et plus les crises compliqueront la transition. Chaque opportunité ou objectif manqué conduit donc à un risque additionnel.

En France, l’Etat s’est doté d’une Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) pour planifier la réduction des émissions nationales. D’une part, elle fixe un « budget carbone » pour le pays, c’est-à-dire une quantité maximale de gaz à effet de serre qu’il est possible de continuer à émettre d’ici 2050. D’autre part, elle définit une trajectoire de réduction de nos émissions dans tous les secteurs, jusqu’à atteindre la neutralité carbone en 2050, point auquel les quelques émissions françaises résiduelles seraient compensées par les absorptions de nos puits de carbone (forêts, prairies, etc.). Cette stratégie pose ainsi un cadre pour la décarbonation nationale et pour être déclinée au niveau local.

Analyses complémentaires

La fin d’un modèle

Fondée depuis deux siècles sur l’utilisation croissante de ressources historiquement considérées comme infinies (ce qui se retrouve dans les bases de l’économie classique), notre économie bute désormais de manière répétée sur les limites physiques de la planète. Jusqu’à maintenant, nous avons bénéficié d’une énergie – essentiellement carbonée – de plus en plus abondante et de moins en moins chère en termes réels, ayant permis une productivité sans cesse croissante du travail humain. La dépendance profonde du PIB à l’énergie en général, et au pétrole en particulier, se retrouve de manière flagrante dans l’examen des tendances sur le pétrole et le PIB depuis 1965.

En bleu : variation de la production physique de pétrole depuis 1966. En orange : variation du PIB par personne en moyenne monale. Sources : World Bank (PIB) et BP (production de pétrole)

La double contrainte énergie-climat vient remettre en question les fondements même de nos sociétés industrielles car elle implique la décorrélation entre le sentiment de prospérité et le niveau des flux physiques. La réduction de la dépendance de nos activités aux flux de matières et d’énergie devient une nécessité stratégique, financière, écologique et sociale.

Ce bouleversement profond, à l’origine de l’un des plus grands défis du siècle, mérite de rassembler le maximum d’énergie, de volonté et d’intelligence, afin de préparer cette transition le plus tôt possible et d’en révéler toutes les opportunités. Il faut anticiper et non subir, l’inaction nous promettant malheureusement drames et souffrances plus sûrement que les efforts que nous avons à concéder pour les éviter.

The Shift Project s’inscrit dans cette vision, avec une volonté affirmée non seulement de comprendre ces défis, mais surtout d’aider à les relever. Il est une force de proposition contribuant à faire partager les solutions, développer des outils, identifier les ruptures nécessaires et baliser les chemins d’accès à de nouveaux modèles de développement.

La question du carbone

La notion de carbone fait référence à deux réalités : 80% de l’énergie consommée dans le monde est constituée de combustibles fossiles (83,7% en moyenne de 1960 à 2017), et le CO2 constitue l’essentiel de nos émissions de gaz à effet de serre. Nous sommes dès lors confrontés à une double contrainte : en amont, une contrainte de stock sur l’énergie, et en aval, une contrainte sur le produit de la combustion à cause de la perturbation engendrée sur le climat.

La limitation du stock va nous confronter à un pic puis un déclin de la production des énergies fossiles, mais cette contrainte géologique ne doit pas être la seule incitation à l’action. L’enjeu climatique implique qu’il est essentiel que le pic de production survienne plus tôt que ce qui serait imposé par la seule géologie, surtout pour le charbon. Cela risque fort d’impacter de manière inédite le premier facteur de production de nos économies.

La contrainte énergétique

Les mathématiques permettent de dire que pour toute ressource dont le stock extractible est donné une fois pour toutes, l’extraction annuelle de cette ressource part de zéro, passe par un maximum, puis décroît avec le temps. Cette conclusion ne s’applique pas qu’au pétrole : c’est également vrai pour les autres combustibles fossiles et tous les minerais (par exemple il est fort possible que les minerais d’or et d’argent aient déjà dépassé leur pic de production). Pour le pétrole (1/3 de l’énergie mondiale), les experts les plus proches du sujet situent ce maximum – appelé pic – entre 2010 et 2020, et pour le gaz (1/5 de l’énergie mondiale) autour de 2025. La forme du maximum (un pic marqué ou un long plateau) et la vitesse du déclin après le maximum font l’objet de nombreux débats d’experts. Pour le charbon, les datent varient de 2030 à 2100.

Compte tenu de l’importance de l’énergie dans l’économie et donc la société, les implications de la survenue de ces pics sont majeures, et la nécessité de les anticiper plus indispensable que jamais. Pourtant, l’essentiel des décideurs économiques et politiques ne semble toujours pas mesurer l’importance du sujet.

Le changement climatique

Afin de s’assurer que le réchauffement climatique ne dépasse pas les limites considérées comme gérables pour une humanité sédentaire de 8 à 10 milliards d’individus (soit 2 °C d’augmentation par rapport au niveau préindustriel), il faut stabiliser la concentration atmosphérique en CO2 à environ 400 ppm (soit la concentration actuellement atteinte) et qu’elle ne dépasse jamais 450 ppm. Pour cela, il faut amorcer la baisse des émissions mondiales de gaz à effet de serre au plus vite, avant de diviser ces émissions par 2 à 3 (selon que l’on compare à 1990 ou à 2010) d’ici 2050.

En pratique, cela revient à n’extraire que le pétrole et le gaz déjà découverts, à limiter au plus vite l’usage du charbon aux installations munies de dispositifs de capture et de stockage, et même à ne plus rien émettre du tout après 2050. Suite à l’accord de Copenhague en 2009, la plupart des grands états se sont engagés sur les objectifs de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre, puis tous lors de l’Accord de Paris en 2015.

Mais quand il s’agit de passer aux actions concrètes, le compte n’y est toujours pas. Les acteurs publics et privés véritablement engagés dans la voie de la décarbonation restent en nombre trop faible pour constituer un réel levier de changement.