Les enjeux climatiques et de transition énergétique réclament de ré-instituer une analyse prospective stratégique de plein exercice au sein des entreprises. Un besoin auquel les scénarios publics de transition de type « scénarios 2°C » ne répondent pas, d’une part parce qu’ils n’ont pas été conçus pour ça, et d’autre part parce qu’ils comportent de sérieuses limites méthodologiques. Cette étude, intitulée « Scénarios énergie-climat : évaluation et mode d’emploi », a été réalisée en partenariat avec l’Afep (association française des entreprises privées) et de ses 113 membres, mais elle concerne plus largement toutes les entreprises. Elle rappelle utilement les « fondamentaux » des enjeux climat-énergie à tout citoyen désireux de s’informer.
Communiqué du Shift
Un rapport commandité par l’Afep (l’association rassemblant les grandes entreprises françaises privées) appelle à dépasser les limites des scénarios énergie-climat
Dans les années à venir, la nécessaire transition énergétique et l’adaptation aux conséquences du changement climatique joueront un rôle majeur dans les choix des organisations publiques ou privées, et en particulier des entreprises. L’ampleur des transformations à engager pour respecter les objectifs de l’Accord de Paris de 2015 représente un défi historique pour les acteurs économiques. Ces transformations pourront intervenir de manière chaotique, à travers des ruptures profondes d’ordres technologique, politique, économique et social. Pour faire face à ces bouleversements inéluctables, les entreprises doivent se forger une connaissance précise des enjeux énergie-climat, appliquée à leur propre modèle d’affaires.
La prospective stratégique permet de confronter la robustesse de la stratégie d’une organisation à des hypothèses d’avenirs contrastés, et pour certains indésirables
Ainsi, les enjeux climatiques et de transition énergétique réclament de ré-instituer une analyse prospective stratégique de plein exercice au sein des entreprises. Un besoin auquel les scénarios publics de transition de type « scénarios 2°C » ne répondent pas, d’une part parce qu’ils n’ont pas été conçus pour ça, et d’autre part parce qu’ils comportent de sérieuses limites méthodologiques. Ce rapport, intitulé Scénarios énergie-climat : évaluation et mode d’emploi, est rendu public le 18 novembre à Bruxelles, lors d’une conférence organisée par l’Afep, qui rassemble 113 des plus grandes entreprises françaises, tous secteurs confondus.
Le défi de l’adaptation au changement climatique et de la transition vers un monde bas-carbone menace de bouleverser l’environnement d’affaires des entreprises. Ce défi nécessite que les entreprises se réapproprient les outils de la prospective stratégique. Les outils de la prospective stratégique permettent de confronter la robustesse de la stratégie d’une organisation à des hypothèses d’avenirs contrastés, et pour certains indésirables. Ces outils sont adaptés à la matérialité physique ainsi qu’à l’incertitude qui caractérisent le problème du climat et des autres limites naturelles.
« Les entreprises doivent construire leur avenir en intégrant une véritable analyse prospective énergie-climat dans leur stratégie, afin d’anticiper les potentielles ruptures dans leur environnement d’affaires. »
Laurent Burelle, Président de l’Afep
Les limites des scénarios publics type « scénarios 2°C »
Les scénarios publics de type « scénarios 2°C » ou « scénarios 1,5°C », sur lesquels s’appuie aujourd’hui largement la validation des stratégies climatiques des entreprises, ne sauraient suffire à s’assurer de la cohérence et la robustesse de telles stratégies. Ces scénarios reposent le plus souvent sur des modèles d’évaluation intégrés qui n’ont pas été conçus pour décrire et accompagner des ruptures économiques et sociétales profondes. Ils laissent en outre apparaître des limites méthodologiques importantes. Ces limites ont trait à des hypothèses fortes qui, le plus souvent, ne sont guère explicitées ni consolidées. Parmi ces hypothèses hardies figurent notamment :
- une rupture de l’intensité énergétique du PIB sans précédent dans l’histoire économique ;
- le postulat d’une croissance économique future stable, sans impact négatif de la hausse des prix du carbone ou de contraintes sur l’accès aux énergies fossiles, par exemple ;
- un développement colossal d’activités de capture-stockage du CO2 pour l’heure embryonnaires.
Une illustration du lien Énergie-PIB dans les scénarios étudiés
Les scénarios analysés tablent sur une amélioration de l’efficacité énergétique sans précédent historique. Une hypothèse forte, faiblement étayée dans la plupart des scénarios étudiés.
En bleu, les valeurs historiques (de 1950 à 2017). En rouge une projection avec une amélioration de l’efficacité énergétique de 1,5 % par an (le mieux qu’on ait su faire depuis 30 ans). En vert la « moyenne » des scénarios analysés. En gris les différents scénarios analysés.
Source : Banque mondiale (PIB), BP stat 2018 (énergie primaire), documentation des producteurs de scénarios.
Les scénarios climatiques publics « 2°C » font en moyenne l’hypothèse d’un gain d’efficacité énergétique du PIB de l’ordre de 3 % par an sur la période 2020-2040. Une telle tendance n’a jamais été observée, y compris lors des chocs pétroliers. Elle revient dans certains cas à faire l’hypothèse d’une activité économique qui croît sans besoin croissant d’énergie : certes souhaitable, cette rupture fondamentale est insuffisamment explicitée. Le dernier rapport annuel de l’AIE (Agence internationale de l’énergie) fait état d’un gain d’efficacité énergétique de seulement 1,2 %. Les scénarios présentés comme compatibles avec des trajectoires de réchauffement global de 2°C ou 1,5°C qui ont été analysés par le Shift Project sont ceux de l’Agence internationale de l’énergie, de Greenpeace, de l’IRENA, de plusieurs grandes compagnies pétrolières et ceux utilisés par le GIEC.
Développer la prospective stratégique au sein des entreprises, et le dialogue avec les concepteurs de scénarios
The Shift Project encourage les entreprises à développer la prospective stratégique à l’échelle de leur environnement d’affaires, en privilégiant une analyse fondée d’abord sur les flux physiques. Le rapport inclut l’exemple d’entreprises qui se sont déjà lancées dans une telle démarche, et propose des indications méthodologiques.
Face aux multiples enjeux de la transition énergétique, The Shift Project enjoint les entreprises à amorcer un dialogue approfondi avec les concepteurs de scénarios, et à progresser vers une meilleure prise en compte des risques, mais aussi des opportunités d’adaptation et de transformation des modèles économiques. L’Afep partage le diagnostic et les recommandations du rapport du Shift Project. Le Président de l’Afep, M. Laurent Burelle, a recommandé aux Président et Directeurs généraux des 113 grands groupes membres de mettre en œuvre l’analyse prospective par scénario présentée dans le rapport en l’intégrant à leur stratégie.
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L’étude est le fruit d’un travail mené au sein du think tank The Shift Project par Romain Grandjean, Laurent Morel et Michel Lepetit en partenariat avec l’Afep (Association française des entreprises privées). Il fait suite à une première étude publiée en 2018 : « Analyse du risque climat : acteurs, méthodologies, perspectives ». Dans le cadre de ce travail, The Shift Project a publié avec l’IFPEN une note sur les modèles énergie-climat-économie qui alimentent les scénarios : « État des lieux et limites de la modélisation énergei-climat au niveau mondial ». Dans le cadre d’un autre programme de recherche, The Shift Project a également publié un « Référentiel méthodologique pour les études prospectives sur la transition énergétique et électrique ».
Contact : Jean-Noël Geist, Chargé des affaires publiques, The Shift Project – jean-noel.geist@theshiftproject.org | 06 95 10 81 91