Climat : Synthèse vulgarisée du 6ème rapport du GIEC

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Quel climat pour demain ? Pourquoi : quelles sont les bases physiques du changement climatique ? Quel est l’état actuel du climat ? Et ses scénarios d’évolutions possibles d’ici à 2100 ? Quels sont les budgets carbones à respecter pour rester bien en dessous de 2°C ou 1,5°C ? Quels sont ses impacts déjà visibles ? Et quels seront ses effets demain : que risquons-nous ? Comment et pourquoi doit-on à la fois réduire les émissions de gas à effet de serre mais aussi s’adapter aux effets dès maintenant ? Et en quoi consiste l’adaptation : comment faire ? Comment atténuer le changement climatique ? Comment réduire les émissions de gaz à effet de serre ? En quoi consiste la décarbonation ?

Les rapports du GIEC répondent à ces questions en plusieurs milliers de pages. Les bénévoles de l’association The Shifters vous proposent une synthèse vulgarisée du résumé aux décideurs du 6ème rapport d’évaluation du GIEC, sorti en mars 2023.

A lire également :

  • la synthèse vulgarisée I du résumé aux décideurs du rapport du groupe de travail I du 6ème rapport d’évaluation du GIEC sur les bases scientifiques du changement climatique, sorti en août 2021
  • la synthèse vulgarisée II du résumé aux décideurs du rapport du groupe de travail II du 6ème rapport d’évaluation du GIEC sur les effets du changement climatique et l’adaptation, sorti en février 2022
  • la synthèse vulgarisée III du résumé aux décideurs du rapport du groupe de travail III du 6ème rapport d’évaluation du GIEC sur l’atténuation du du changement climatique, sorti en avril 2022.

Mieux comprendre le GIEC et ses fameux rapports

Le GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat) est une organisation regroupant 195 États membres de l’ONU dont l’objectif est de faire régulièrement un état des lieux sans parti pris des connaissances scientifiques les plus avancées sur le climat. Il réunit des milliers d’experts volontaires du monde entier pour évaluer, analyser et synthétiser les nombreuses études scientifiques sur le sujet. Les rapports du GIEC sont au cœur des négociations internationales sur le climat, comme la COP21 à Paris en 2015 et la COP26 à Glasgow en 2021. En 2007, le GIEC a partagé le prix Nobel de la Paix avec Al Gore.

Le rapport de synthèse du 6ème rapport d’évaluation (AR6) du GIEC est un résumé rassemblant l’état des connaissances détaillées dans les trois rapports spéciaux et les rapports des trois groupes de travail parus depuis 2014 (date de fin du 5ème rapport d’évaluation du GIEC, AR5) :

  • Rapport spécial sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C (2018)
  • Rapport spécial sur le changement climatique et les terres émergées (2019)
  • Rapport spécial sur l’océan et la cryosphère (2019)
  • Rapport du Groupe de Travail n°1 : les éléments scientifiques (2021)Risque = Aléa x Esposition x Vulnérabilité
  • Rapport du Groupe de Travail n°2 : les impacts, l’adaptation et la vulnérabilité (2022)
  • Rapport du Groupe de Travail n°3 : atténuation du changement climatique (2022)

Dans ces différents rapports, plusieurs scénarios d’émissions ont été utilisés. Tout d’abord, le groupe de travail numéro 1 et 2 se basent les scénarios SSP pour « Shared Socioeconomic pathway », trajectoire socioéconomique partagée en français. Les figures 1 à 4 de ce document ont été construites à partir de ces scénarios. Le groupe de travail numéro 3, quant à lui, utilise un autre type de scénario, dont une partie est affichée sur la figure 5 et dont les résultats sont affichés dans le seul tableau de ce document.

Pour les plus anglophones, les 36 pages du Summary for Policymakers (33 en réalité) en valent la peine. Dans tous les cas, nous espérons que cette synthèse vulgarisée par nos soins vous donne envie de lire la future traduction française de ce fameux résumé aux décideurs.

Un rapport divisé en 4 parties : état des lieux ; changements climatiques futurs et risques associés ; réponses à long terme ; réponses immédiates et par secteur.

Le rapport de synthèse reconnaît l’interdépendance du climat, des écosystèmes, de la biodiversité et des sociétés humaines. Il met également l’accent sur les liens étroits entre l’adaptation au changement climatique, l’atténuation de ses effets, la santé des écosystèmes, le bien-être humain et le développement durable, et reflète la diversité croissante des acteurs impliqués dans l’action climatique.

Le GIEC alerte sur le fait que le rythme et l’ampleur de l’action sont actuellement insuffisants pour lutter contre le changement climatique. Cependant, il reste de l’espoir, car des options multiples, réalisables et efficaces existent pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) et ainsi diminuer les dégâts sur les humains et les écosystèmes.

Le défi est donc de réduire rapidement et fortement les émissions pour créer un monde plus sûr et durable et renforcer la résilience à travers des stratégies d’atténuation et d’adaptation.

Le présent document est structuré en quatre parties. La première dresse l’état des lieux actuel. La seconde partie présente les possibles changements climatiques futurs et les risques associés. La troisième se penche sur les réponses qui peuvent être apportées à long terme, la quatrième sur les réponses immédiates et par secteur.

Etat des lieux

Changements observés, causes et impacts

Figure 1. Changement observé et futur de la température moyenne mondiale de l’atmosphère par rapport au niveau moyen de la période 1850-1900.

L’influence des êtres humains sur le réchauffement de l’atmosphère, des océans et des continents est sans équivoque et principalement due aux émissions de GES. La température mondiale sur la période 2011-2020 était 1,1°C plus élevée que celle sur la période 1850-1900, avec un réchauffement plus important sur les continents (+1,6°C) qu’au-dessus des océans (+0,9°C). Le rythme du réchauffement sur les 50 dernières années est sans précédent depuis au moins 2000 ans.

De 1850 à 2019, l’humanité a émis 2400 Gt de CO2, dont 42% entre 1990 et 2019. La concentration de CO2 dans l’atmosphère en 2019 atteignait 410 ppm, la plus haute depuis au moins 2 millions d’années. Quant au méthane (1866 ppb) et au protoxyde d’azote (332 ppb), leurs concentrations dépassent de loin la variabilité naturelle des périodes glaciaires et interglaciaires au cours des 800 000 dernières années.

Les émissions de GES ont atteint 59 Gt de CO2-éq en 2019, soit 12% de plus qu’en 2010 et 54% de plus qu’en 1990. Sur ces 10 dernières années, 86% de cette augmentation est due aux combustibles fossiles. L’humanité a provoqué des changements rapides et étendus au niveau de l’atmosphère, de la cryosphère (glaces terrestres et marines), de la biosphère (êtres vivants) et des océans. Le niveau de la mer s’est élevé de 20 cm entre 1901 et 2018. D’un rythme de 1,3 mm/an entre 1901 et 1971, l’élévation s’est accélérée pour atteindre +3,7 mm/an sur la période 2006-2018. Par conséquent, ce niveau a augmenté plus rapidement depuis 1900 que pendant n’importe quel siècle depuis 3000 ans.

Il existe de grandes disparités entre pays et dans chaque pays. Les émissions sont proportionnelles au niveau de développement des pays et au niveau de richesse des habitants. Les plus riches sont ceux qui émettent le plus de GES. Les émissions sont par exemple de 1,7 tonne par habitant dans les pays les moins développés alors que 35% de la population mondiale vit dans des pays où la moyenne est supérieure à 9 tonnes par habitant. À l’échelle mondiale, les 10% les plus riches sont responsables d’environ 40% des émissions de GES, soit 15 fois plus par personne que les 50% les plus pauvres. De manière générale, les systèmes humains et naturels les plus vulnérables et qui ont le moins contribué au changement climatique sont les plus affectés.

L’augmentation de la fréquence et de l’intensité de plusieurs types d’évènements météorologiques et climatiques extrêmes (canicules, fortes précipitations, sécheresses …) entraîne des impacts irréversibles en poussant les systèmes naturels et humains au-delà de leurs limites d’adaptation dans toutes les régions du monde. De 3,3 à 3,6 milliards d’humains vivent dans des conditions de forte vulnérabilité au réchauffement climatique, et environ la moitié de la population mondiale subit une pénurie d’eau sévère pendant au moins une partie de l’année.

Les évènements extrêmes ont partout entraîné une augmentation de la mortalité et de la morbidité humaine, en raison de maladies d’origines alimentaires, de la qualité de l’eau, ainsi que des problèmes psychologiques. Ces événements entraînent aussi de nombreux déplacements contraints de population, notamment en Afrique, Asie et Amérique du Nord. En ville, l’intensification des évènements extrêmes cause des dégâts aux infrastructures clés (transport, hygiène, eau, énergie) affectant disproportionnellement les habitants socialement et économiquement marginalisés.

Adaptation et atténuation

De nombreux progrès dans la planification et la mise en œuvre de l’adaptation au changement climatique ont été observés, notamment grâce à une prise de conscience croissante. Ils se sont traduits par de nombreux bénéfices, notamment une diminution des risques climatiques. Les stratégies d’adaptation sont nombreuses : changement de pratiques agricoles, gestion durable des terres, renaturalisation des villes, mais également développement des services climatiques et amélioration de la protection sociale permettant de diminuer la vulnérabilité des populations.

Néanmoins, les efforts actuels d’adaptation souffrent d’être trop fragmentés, progressifs, de petite échelle, distribués inégalement géographiquement, ou spécifiques à un secteur. Ainsi, ils restent insuffisants au vu de ce qui est nécessaire. Beaucoup conduisent aussi à une mauvaise adaptation qui désavantage particulièrement les plus vulnérables. De plus, l’adaptation, même réussie, ne permet pas d’éviter tout dommage. Des limites à l’adaptation ont également déjà été ou sont en passe d’être atteintes, notamment dans les régions les plus exposées comme les côtes ou les pôles.

L’adaptation fait également toujours face à de nombreux obstacles : manque de ressources, de sens de l’urgence, de volonté politique, de connaissances et de mobilisation. Les flux financiers destinés à l’adaptation restent largement insuffisants, une situation qui ne fait qu’empirer. Les financements pour le climat restent encore largement publics et destinés surtout à la réduction des émissions. Le faible niveau de financement de l’adaptation réduit ainsi fortement les options disponibles.

En parallèle, les efforts de réduction des émissions progressent, portés notamment par l’Accord de Paris de 2015. La plupart des États se sont ainsi fixé des objectifs et de nombreuses réglementations ont été mises en place avec succès. Ces politiques se sont appuyées sur les nombreuses options d’atténuation existantes, telles que le passage aux énergies renouvelables, l’efficacité énergétique, la gestion de la demande ou une meilleure gestion des terres. Ces options sont non seulement faisables, mais souvent rentables et largement soutenues par les opinions publiques. Le coût de l’énergie solaire a ainsi diminué de 85% dans les années 2010 pendant que son déploiement progressait d’un facteur 10.

Néanmoins, ces développements récents ont certes permis d’éviter plusieurs Gt d’émissions annuelles, mais n’ont pas été suffisants pour inverser la tendance à l’augmentation des émissions mondiales. Les engagements pris par les États avant la COP26 restent ainsi bien en-deçà du nécessaire pour limiter le réchauffement à 1,5°C. Pour ce faire, une diminution drastique et immédiate des émissions d’ici 2030 est indispensable. Les engagements pris par les pays avant la COP26 (en 2021) nous conduiraient vers un réchauffement d’environ 2,8°C à l’horizon 2100. Les politiques mises en œuvre en 2020 nous amèneraient quant à elles à un réchauffement de 3.2°C. Bien que de nombreux pays ont annoncé leur intention d’atteindre une forme de neutralité carbone vers 2050, les outils pour y parvenir restent largement inexistants.

Le financement de l’atténuation a certes progressé depuis 2010, mais de manière très inégale entre pays et secteurs et sa croissance a ralenti après 2018. L’atténuation reste ainsi très limitée dans les pays en développement (par le manque de ressources financières et technologiques), notamment du fait que les pays développés n’ont pas tenu leurs engagements financiers. Les flux financiers à destination de l’adaptation et de l’atténuation sont également toujours inférieurs à ceux destinés aux combustibles fossiles. En conséquence, les objectifs de limiter le réchauffement à 1,5°C et même à 2°C restent inatteignables avec les mesures actuelles.

Changement climatique futur, risques à venir

Le réchauffement climatique va s’aggraver, car nous continuons d’émettre des GES qui s’accumulent dans l’atmosphère. La limite des +1,5°C va probablement être franchie d’ici 2035. Les +1,5°C pourraient même être franchis ponctuellement plus tôt sous l’effet de la variabilité de phénomènes naturels tels que El Niño.

L’augmentation des températures mondiales entraîne une perturbation du cycle de l’eau, une intensification des fortes pluies (moussons par exemple) et une augmentation de la fréquence des périodes humides et sèches. Combinées aux canicules, ces dernières seront favorables aux incendies de forêt.  Les tempêtes seront partout plus fréquentes. Dans les océans, le changement climatique entraînera une élévation accrue du niveau des mers via le réchauffement des eaux et la fonte des glaciers et calottes polaires, ainsi qu’une baisse de la teneur en oxygène et une augmentation de l’acidité des eaux. Les puits naturels de carbone vont voir leur capacité d’absorption du CO2 diminuer, amplifiant d’autant le changement climatique.

Figure 2. Changements climatiques régionaux pour différents niveaux de réchauffements globaux

Ces changements vont impacter toutes les régions du monde. Les risques engendrés par l’augmentation des températures mondiales sont plus élevés que ceux estimés dans le précédent rapport du GIEC (AR5). Les risques sont multiples et peuvent se combiner :

  • Hausse de la mortalité due aux vagues de chaleur
  • Augmentation des vecteurs de maladie (eau, nourriture et animaux)
  • Impacts psychologiques (éco-anxiété, traumatismes …)
  • Diminution des ressources en eau
  • Submersion côtière
  • Inondations / glissements de terrain suite aux pluies intenses
  • Perte de biodiversité dans tous les écosystèmes
  • Diminution des rendements agricoles.

Les conséquences sur les êtres humains, les milieux naturels, les infrastructures et l’économie sont importantes.

Figure 3. Risque de disparitions d’espèces

Chaque dixième de degré d’élévation des températures mondiales augmente les risques liés au changement climatique et rend leur gestion plus complexe. En effet, certains impacts vont se combiner et s’étendre à d’autres régions. Par exemple, le changement climatique va entraîner une baisse de la production de nourriture et la déstabilisation des chaînes de transport. Ce risque va potentiellement être amplifié par d’autres facteurs non climatiques tels que les conflits armés, les pandémies et les tensions liées au partage des ressources.

La gravité des impacts climatiques sur les populations et les milieux naturels dépend de la vulnérabilité de ceux-ci et de leur niveau d’exposition. Ces deux facteurs vont évoluer négativement dans le futur. Les écosystèmes seront par exemple de plus en plus vulnérables si l’utilisation intensive des ressources naturelles se poursuit. Les populations vivant dans des habitats précaires et dans des zones rurales où les moyens de subsistance dépendent des conditions naturelles seront de plus en plus vulnérables.  Le nombre de personnes exposées aux évènements extrêmes ou chroniques va également augmenter à cause des flux migratoires et de l’urbanisation.

Figure 4. Risque de condition de chaleur et d’humidité pouvant entraîner la mort d’êtres humains par hyperthermie

Certains impacts sont irréversibles même si les émissions de GES s’arrêtaient. En particulier la fonte des glaces et la montée du niveau des mers continueront pendant des millénaires. En revanche, l’ampleur de ces impacts peut être limitée par une réduction drastique des émissions. Par exemple, la montée du niveau des mers est estimée à environ 50 cm d’ici 2100 si le réchauffement est limité à 1,5°C, mais pourrait dépasser 1 m si les émissions augmentent fortement.

Enfin, réduire les émissions de GES diminue la probabilité d’emballement du réchauffement du climat. Par exemple, la fonte étendue du permafrost libère des GES, ce qui amplifie à son tour le changement climatique.

Réponses à long terme

Adaptation

Le nombre et l’efficacité des solutions d’adaptation décroissent avec l’intensité du réchauffement. Ces solutions sont plus efficaces lorsqu’elles sont multisectorielles, qu’elles permettent de réduire les inégalités sociales, et qu’elles sont planifiées sur le long terme.

Les dégâts augmenteront avec le réchauffement, atteignant les limites d’adaptation des écosystèmes et des sociétés humaines. C’est d’ailleurs chez les populations les plus vulnérables que ces dégâts seront concentrés. De nombreux écosystèmes atteignent leur limite d’adaptation dès +1,5°C, comme les récifs coralliens, certaines forêts tropicales, les zones humides côtières, ainsi que les écosystèmes polaires et de montagne.

Il faut être vigilant à la maladaptation, qui peut amplifier les risques à long terme. Par exemple, une digue peut réduire le problème temporairement, mais pas sur le long terme.

Atténuation

Figure 5. Trajectoires d’émissions permettant de limiter le réchauffement à 1.5°C ou 2°C et trajectoire d’émission résultant des politiques en vigueur en 2020

Afin de limiter le changement climatique d’origine humaine, il faut atteindre le “net zéro émissions” vers 2050 pour rester sous 1,5°C, et 2070 pour rester sous 2°C. En effet, pour chaque 1000 Gt de CO2 émis, l’atmosphère se réchauffe d’environ 0,45°C. En 2020, le budget permettant de rester sous +1,5°C était de 500 Gt et de 1150 Gt pour +2°C. Un maintien jusqu’en 2030 des émissions de CO2 à leur niveau de 2019 épuiserait le budget restant pour +1,5°C et consommerait le tiers du budget +2°C. Sans fermetures anticipées, les infrastructures d’énergies fossiles existantes vont déjà entraîner un dépassement du budget permettant de rester sous les 1,5°C. De fait, il est nécessaire de réduire drastiquement et immédiatement les émissions de GES dans tous les secteurs avant 2030. Certaines émissions résiduelles seront difficiles à éliminer (aviation, agriculture, transport maritime, procédés industriels) et devront donc être compensées par le déploiement de méthodes d’élimination du CO2 pour atteindre zéro émission nette.

Pourcentage de réduction par rapport à 2019
2030 2035 2040 2050
Avoir une chance sur deux de limiter le réchauffement à 1,5°C GES 43% 60% 69% 84%
CO2 48% 65% 80% 99%
Avoir deux chances sur trois de limiter le réchauffement à 2°C GES 21% 35% 46% 64%
CO2 22% 37% 51% 73%

Tableau : réduction des émissions de GES et de CO2 (en pourcentage) nécessaires d’ici 2050 pour limiter le réchauffement à 1,5°C ou 2°C.

Dépassement temporaire des 1,5°C (“overshoot”)

Seul un petit nombre de scénarios très ambitieux permet d’obtenir une chance sur deux de rester sous les +1,5°C sans jamais dépasser ce niveau. En cas de dépassement, il serait possible de progressivement revenir sous les +1,5°C en captant et stockant plus de CO2 que ce qui est émis au niveau mondial. On parle d’overshoot, ou dépassement temporaire. Un overshoot entraînerait inévitablement davantage d’impacts négatifs rendant le retour sous les 1,5°C plus difficile.

Réponses à court terme

Figure 6. Faisabilité des réponses au changement climatique et des options d’adaptation, et potentiel d’options d’atténuation à court terme.

Le dérèglement climatique est une menace pour le bien-être des humains. La fenêtre de tir permettant de garantir un avenir vivable et durable pour tous se referme rapidement. En effet, les possibilités d’un développement résilient sont contraintes par les émissions passées et sont progressivement limitées par la quantité de GES que nous émettons et émettrons.

Des mesures d’atténuation drastiques et rapides et une mise en œuvre accélérée des mesures d’adaptation au cours de cette décennie permettraient de réduire les dégâts attendus sur les humains et les écosystèmes. Cela engendrerait de nombreux co-bénéfices, comme l’amélioration de la qualité de l’air, du bien-être et de la santé (mobilité active, régimes alimentaires sains et durables) ou de la productivité agricole. Au contraire, le report de ces mesures accentuerait le réchauffement planétaire, réduirait les capacités d’action (des systèmes humains et naturels atteindraient leurs limites d’adaptation) et augmenterait les dégâts.

Les stratégies d’atténuation ambitieuses impliquent d’importants changements dans les structures économiques existantes, au sein des pays et entre les différents pays. Pour accélérer l’action climatique, il est possible de mettre en place des réformes fiscales, financières, institutionnelles et réglementaires intégrant les mesures climatiques aux politiques macroéconomiques. Par exemple, il faudrait permettre un meilleur accès aux financements des infrastructures et technologies à faibles émissions dans les pays en développement.

Focus par secteur

Des options d’atténuation et d’adaptation, efficaces et peu coûteuses existent déjà dans tous les secteurs.

Systèmes énergétiques

Le développement de systèmes énergétiques à net zéro CO2 repose sur une diminution drastique de l’utilisation d’énergies fossiles, le recours aux énergies bas carbone et une électrification généralisée. Des mesures d’adaptation permettraient d’améliorer la résilience des infrastructures et la fiabilité des systèmes électriques, notamment en diversifiant la production d’énergie (éolienne, solaire, etc.). De telles mesures comprennent des marchés d’énergie prenant en compte les changements climatiques, des technologies de réseaux intelligents et des systèmes de transmission robustes, et génèrent des co-bénéfices en termes d’atténuation.

Industrie et Transport

La réduction des émissions industrielles de GES nécessite une action coordonnée tout au long des chaînes de valeur en travaillant sur la gestion de la demande, l’efficacité énergétique et la mise en place de changements structurels dans les processus de production.

Dans le domaine des transports, les biocarburants durables et l’hydrogène bas carbone peuvent contribuer à diminuer les émissions du transport maritime, de l’aviation et du fret routier. Les véhicules électriques alimentés par de l’électricité bas carbone ont un fort potentiel de réduction des émissions pour les transports terrestres. Les progrès des technologies de batterie pourraient faciliter l’électrification des poids lourds et compléter les systèmes ferroviaires électriques conventionnels. L’empreinte environnementale de la production de batteries et les préoccupations croissantes concernant les minéraux critiques peuvent être abordées en diversifiant l’offre et les sources de matériaux, en améliorant l’efficacité énergétique et matérielle, et en encourageant des flux de matériaux circulaires.

Villes, communautés et infrastructures

L’aménagement durable des territoires n’est possible que si les risques climatiques sont pris en compte. Il faut favoriser la sobriété, la proximité domicile/travail, développer les transports publics ainsi que la mobilité active, et réduire l’impact environnemental des bâtiments. Les espaces végétalisés et les plans d’eaux favorisent l’absorption et le stockage du carbone et peuvent réduire les risques liés aux évènements extrêmes tels que les vagues de chaleur ou les inondations, tout en générant des co-bénéfices pour la santé et l’environnement.

Terre, océan, nourriture et eau

La restauration, la conservation et l’amélioration de la gestion des écosystèmes, et tout particulièrement les forêts tropicales, présentent le plus grand potentiel économique parmi toutes les pistes d’atténuation. La réduction de la déforestation dans les régions tropicales a le potentiel d’atténuation le plus élevé de tous les écosystèmes. Il existe de différentes stratégies d’adaptation efficaces comme l’agroforesterie ou la diversification des exploitations agricoles et des paysages. La conservation des écosystèmes stockant beaucoup de carbone (tourbières, zones humides, forêts) offre des avantages immédiats, tandis que leurs restaurations nécessitent des décennies pour obtenir des résultats mesurables. Pour maintenir les services écosystémiques et la biodiversité, il faut conserver 30 à 50% de la surface des zones terrestres, d’eau douce et océaniques.

Santé et nutrition

Les mesures d’atténuation et d’adaptation sont bénéfiques pour la santé si elles sont intégrées aux politiques d’alimentation, d’infrastructures, de protection sociale et de gestion de l’eau. Par exemple, la mise en place de plans d’action “chaleur-santé” comprenant des systèmes d’alerte et de réactions rapides en cas de canicule est une mesure efficace.

Société, moyens de subsistance et économie

La mise en place de systèmes de protection sociale en cas de catastrophe climatique peut réduire la vulnérabilité et l’exposition des sociétés humaines. Le développement des connaissances climatiques améliore la perception des risques et accélère les changements de comportement et la planification.

Développement durable, équité et inclusion, et gouvernance

Développement durable : synergies et compromis

Il y a de grandes disparités entre pays quant à leur capacité à lutter contre le dérèglement climatique. D’un côté, les pays riches, dont la richesse repose sur des énergies fossiles, doivent lancer une transition socialement acceptable. De l’autre, les pays en développement aspirent à élever leur niveau de vie et risquent d’émettre plus de GES dans le futur, d’autant qu’ils disposent de moins de ressources pour engager la transition.  Globalement, les impacts positifs des ODD sur le climat sont plus importants que leurs impacts négatifs.

Equité et inclusion

Les actions d’adaptation et d’atténuation aboutiront à des résultats plus durables si elles se basent sur l’équité, la justice sociale, la justice climatique, le droit et l’inclusivité. En effet, les vulnérabilités climatiques sont exacerbées par les inégalités liées aux genres, aux origines ethniques, à la pauvreté, à la mauvaise qualité de l’habitat, au handicap, à l’âge. Par exemple, les filets de sécurité sociale et les politiques de redistribution, entre secteurs ou régions, protègent les populations pauvres et vulnérables. Les réglementations et les outils financiers peuvent aussi contribuer à l’égalité. De nombreuses options sont également disponibles pour réduire la consommation très émettrice de GES, y compris par des changements de comportement et de mode de vie, avec des effets bénéfiques sur le bien-être de la société.

L’attention portée à l’équité et à l’implication de tous les acteurs concernés dans la prise de décision à toutes les échelles peut renforcer la confiance sociale, qui repose sur un partage équitable des avantages et des bénéfices.

Gouvernance et politique

La volonté politique est indispensable pour mener à l’action climatique, et se traduit par la mise en place de cadres institutionnels, de lois et de planifications bien adaptés. Il faut donc une gouvernance efficace pour cibler les priorités, sachant que celle-ci doit pouvoir se décliner à tous les échelons : local, national et international. Les processus décisionnaires doivent également être inclusifs pour être justes et assurer une bonne acceptabilité sociale. Il est également nécessaire de se munir de moyens de contrôle et d’évaluation pour mesurer les progrès ou les insuffisances.

Les marchés carbone ont certes encouragé des baisses d’émissions à faible coût, mais ont été moins efficaces pour inciter à prendre des mesures plus coûteuses, mais nécessaires. Les revenus ainsi générés peuvent être utilisés pour les ménages les plus défavorisés. La suppression des subventions aux énergies fossiles permettrait aussi de diminuer les émissions.

Finance, technologie, coopération internationale

La finance, la technologie et la coopération internationale sont des catalyseurs indispensables pour accélérer l’action climatique. Il faudrait néanmoins entre 3 à 6 fois plus d’investissements en faveur du climat sur la décennie 2020-2030 par rapport au niveau de 2020 pour limiter le réchauffement à 1,5 ou 2°C. Davantage d’aides financières publiques entraîneront probablement un afflux d’investissements privés. Les volumes financiers mondiaux permettent amplement de faire face aux besoins, sous réserve que les pays riches aient la volonté de soutenir les pays plus pauvres. Pour l’instant, les promesses de transférer 100 milliards de dollars par an n’ont pas été tenues.

L’amélioration de l’innovation technologique peut offrir des opportunités pour réduire la croissance des émissions en créant des co-bénéfices sociaux, environnementaux et atteindre les ODD. Il faut néanmoins des politiques et des stratégies appropriées pour éviter des effets rebonds (augmentation des émissions).

Pour finir, une coopération internationale renforcée est absolument indispensable pour cimenter toutes les initiatives financières et technologiques.

L’influence humaine sur le climat est aujourd’hui sans équivoque. Les années les plus chaudes que nous avons vécues jusqu’à présent seront parmi les plus fraîches d’ici une génération. Les émissions de GES passées ont engendré des changements profonds dans toutes les composantes du système climatique. La poursuite des émissions aggrave les impacts du changement climatique. De nombreux changements sont irréversibles sur des échelles de temps centennales à millénaires. Les choix et actions mis en œuvre au cours de la décennie en cours auront donc des répercussions aujourd’hui et pendant des milliers d’années.

En l’absence de mesures d’atténuation et d’adaptation rapides, efficaces et équitables, le changement climatique menace de plus en plus les écosystèmes, la biodiversité, les moyens de subsistance, la santé et le bien-être des générations actuelles et futures. Les solutions techniques, politiques ou sociétales existent déjà dans tous les secteurs et sont bien identifiées. Les preuves sont claires, il est maintenant venu le temps de l’action.

 


Les auteurs, membres de l’association The Shifters

  • François BENY (docteur en paléoclimatologie, chargé de mission formation développement durable, Décathlon ; beny.francois@gmail.com)
  • Stéphanie CANAS (consultante énergie et climat, Clima & Tera consulting ; canas_s@yahoo.fr)
  • Manoel CHAVANNE (professeur d’anglais indépendant et spécialiste en gestion des risques et catastrophes naturelles) ; mchavanne@hotmail.com)
  • Denis DEUTSCH (retraité, ex-TotalEnergies ; denisdeutsch@outlook.fr)
  • Léa PERSOZ (chargée d’études environnement, Conseil départemental de l’Essonne ; persoz.lea1@gmail.com)
  • Alexandre TUEL (post doctorant, Université de Berne, Suisse ; alexandre.tuel@yahoo.fr)

Les relecteurs

  • Philippe GILLET (ingénieur, chargé d’appui à la recherche et aux projets, TheShiftProject)
  • Sylvestre HUET (journaliste spécialisé en sciences, auteur du GIEC, urgence climat)
  • Sandrine MALJEAN-DUBOIS (directrice de recherche CNRS, Université Aix-Marseille)
  • Jacques TREINER (physicien, président du comité des experts du Shift Project)

Sources

6th Assessment Report: Longer Report and Summary for Policymakers

The Shifters

The Shifters est une association créée en 2014 pour diffuser des idées et solutions visant à réduire les émissions carbones de nos sociétés et notre dépendance aux énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon). L’association partage la vision du think tank The Shift Project sur la réalité du changement climatique et la nécessaire transition bas-carbone.


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