[MàJ : la réponse d’Emmanuel Macron] Il y a du boulot : l’analyse des propositions des candidats sur le climat par le Shift Project

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[Mise à jour, 1er avril] Emmanuel Macron nous a fait parvenir sa réponse mercredi 30 mars.
Cette réponse nous étant parvenue hors délai, nous nous abstiendrons d’en analyser le contenu, par souci d’équité envers les candidats qui ont répondu dans le délai convenu. 

Revoici le prisme d’analyse que nous avons utilisé pour les réponses reçues : libre à chacun de se faire une opinion.

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Malgré des progrès depuis 2017, les candidats à la présidentielle ne prennent au mieux que partiellement la mesure du défi de la mise en œuvre des accords de Paris. Aucun ne nous semble proposer une stratégie à la hauteur du danger du changement climatique et des risques qui pèsent sur nos approvisionnements en énergie.

Côté diagnostic, les candidats à la présidentielle sont presque unanimes : la France doit d’urgence sortir des énergies fossiles. Il faut s’en féliciter. Côté thérapie, l’essentiel reste à concevoir.  

Le Shift Project a proposé aux candidats à l’élection présidentielle d’expliquer en quelques pages comment ils mettraient en œuvre concrètement la sortie des énergies fossiles au cours du prochain quinquennat (lettre envoyée aux candidats à retrouver ici). Nous publions ci-dessous l’analyse critique de leur approche. Nous publions simultanément l’analyse détaillée des programmes, réalisée par l’association « The Shifters ».

Jean-Luc Mélenchon, Valérie Pécresse et Yannick Jadot décrivent dans leurs lettres au Shift une approche assez précise de certains enjeux majeurs. Chez les autres candidats, l’approche décrite reste la plupart du temps superficielle. Par manque de cohérence interne, plusieurs textes laissent apparaître nettement des contradictions implicites (celui d’Eric Zemmour notamment) voire explicites (Marine Le Pen).

Emmanuel Macron ne nous a pas répondu, en dépit des engagements pris par son équipe de campagne. Nous ne savons à peu près rien de sa stratégie future. Qu’il se soit engagé dans son programme à « planifier la transition écologique », le Shift ne peut que s’en féliciter… Mais ça ne suffit évidemment pas !

Puisque l’énergie est partout, la transition énergétique demande une approche systémique solidement charpentée, c’est-à-dire un plan. Aucun des candidats ne nous semble exposer une telle approche :

  • si tous ou presque veulent « réindustrialiser » la France, les principes qui permettraient de construire une industrie décarbonée ne sont exposés au mieux que très partiellement ;
  • la clé de l’emploi, de la formation et des reconversions est évoquée superficiellement, quand elle n’est pas ignorée ;
  • la notion de sobriété, fréquente désormais dans les discours et posée comme étant indispensable dans tous les scénarios de référence, est rarement retranscrite en objectifs et leviers concrets ;
  • peu de candidats évoquent l’adaptation au changement climatique, alors que la planète continue à se réchauffer de 0,2°C par décennie ;
  • peu évoquent l’intégration des enjeux d’énergie et de climat dans l’éducation ;
  • même l’enjeu de la sécurité des approvisionnements en ressources critiques n’est dans le meilleur des cas qu’évoqué en passant.

L’enjeu systémique semble encore aperçu par le petit bout de la lorgnette. L’alternative nucléaire versus renouvelables paraît toujours chez beaucoup suffire en grande part à traiter le débat sur la transition énergétique. Et la question de la sortie du pétrole est bien souvent réduite à un débat pour ou contre la voiture électrique ou les transports en commun.

Le problème est bien plus vaste et délicat. Il réclame de la part du pouvoir exécutif une vision lucide, articulée et précise.

NB. La présente analyse critique porte strictement sur le contenu des lettres qui nous ont été transmises afin d’expliciter la cohérence de sa stratégie de décarbonation. Cette analyse se réfère au prisme d’analyse utilisé par le Shift Project dans le cadre de son Plan de transformation de l’économie française (publié aux éditions Odile Jacob), et quelque peu détaillé plus bas.

L’association des Shifters publie également une analyse détaillée des programmes des candidats à la présidentielle, évaluant leur degré de compatibilité avec la Stratégie nationale bas carbone adoptée par la France.

Ainsi, ces deux analyses ne mobilisent ni les mêmes documents (lettres vs programmes) ni le même prisme d’analyse (PTEF vs SNBC). A vous de repérer et de débattre des différences en famille !

Le PTEF, concentrant volontairement l’analyse sur les transformations pratiques recherchées,  n’aborde de ce fait les questions de financement que de façon subsidiaire. Pour un éclairage sur ces questions de financement, voir en particulier l’analyse des programmes proposée par l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE).

Nathalie Arthaud

Dans sa lettre, Nathalie Arthaud estime « urgent d’enlever aux groupes privés la direction de l’industrie, des transports, et d’organiser l’économie de façon rationnelle, planifiée, pour répondre aux besoins du plus grand nombre, tout en préservant l’environnement ».

Elle ne dit toutefois rien sur ce que pourrait être une telle organisation rationnelle et planifiée. En particulier, elle ne dit pas ce qu’il adviendrait des fonctionnalités techniques aujourd’hui consommatrices d’énergies fossiles et/ou émettrices de gaz à effet de serre.

 

Nicolas Dupont-Aignan

Dans la lettre, bien qu’il constate que « la protection de l’environnement est un sujet très vaste et transversal qui impose de s’atteler à ces débats de fond », Nicolas Dupont-Aignan ne mentionne à aucun moment les énergies fossiles dans sa « vision » de la « protection environnementale ». Il ne formule aucune proposition concrète ou quantifiée.

 

Anne Hidalgo

Dans sa lettre, anne Hidalgo liste un certain nombre de développements jugés vertueux qu’elle entend encourager à travers des incitations financières ou réglementaires, et affirme pour certains secteurs la nécessité d’une planification.

Toutefois, au-delà de l’affirmation de principes (« sortie rapide de l’inaction climatique et des énergies fossiles », « 100 % d’énergies renouvelables aussi rapidement que possible », « développement rapide des pratiques agroécologiques », « construire la résilience (…) des infrastructures »), les éléments de stratégies opérationnelles mis en avant apparaissent trop souvent vagues et généraux.

L’appréciation d’une cohérence d’ensemble est impossible.

 

Yannick Jadot

La stratégie présentée par Yannick Jadot dans sa lettre décrit des outils de gouvernance potentiellement puissants. Elle liste les impacts les plus forts attendus sur les secteurs visés en termes de décarbonation.

L’appréciation des limites de certains leviers d’action clé (rythme de déploiement des renouvelables et besoins afférents en métaux critiques, impacts potentiellement indésirables de la méthanisation), ainsi la description des « contre-mesures » envisagées face à ces limites font défaut.

La sobriété est présentée comme décisive. Pourtant ses modalités de mise en œuvre et la mesure de ses impacts ne sont guère explicitées.

Le pilotage de la transition en termes d’emplois et de formation n’est pas explicité (bien qu’elle apparaisse dans le programme du candidat).

 

Marine Le Pen

Dans sa lettre, malgré une longue introduction sur les liens entre énergie et société dans l’histoire et les contraintes actuelles, Mme Le Pen récuse la nécessité de rechercher une organisation économique moins consommatrice en énergie et en matière. Elle compte « réindustrialiser la France » en misant massivement sur le nucléaire et sur une « révolution hydrogène ».

L’impasse sur la sobriété et l’efficacité d’une part et d’autre part le manque d’argumentation opérationnelle à l’appui du discours volontariste concernant l’industrie, notamment dans le registre du développement du nucléaire et dans celui du pilotage des besoins en emplois et en compétences, empêchent d’évaluer positivement la crédibilité de la stratégie proposée. L’insistance pour maintenir la place de la voiture individuelle, « ralentir la substitution » des véhicules thermiques et réduire la fiscalité sur les énergies fossiles conduit à craindre une contradiction avec l’objectif national de décarbonation.

 

Jean-Luc Mélenchon

Dans sa lettre, de nombreux champs d’actions majeurs sont abordés, et c’est une exception : une politique d’adaptation des infrastructures face au changement climatique est articulée.

Les montants d’investissements sont souvent chiffrés, de même que certains objectifs opérationnels. Toutefois, la portée effective des leviers en termes d’impact carbone et d’emploi n’est guère abordée. La rencontre de possibles limites dans la mise en œuvre de leviers pourtant très disruptifs n’est pas évoquée, si ce n’est en creux, en insistant sur certaines problématiques bien connues, comme celle de la formation dans le domaine du bâtiment.

 

Valérie Pécresse

La stratégie de décarbonation présentée par Valérie Pécresse dans sa lettre liste un certain nombre de leviers d’action, mais souvent sans fournir une appréciation du potentiel et des limites de ces leviers, ni décrire le principe et les modalités de gouvernance.

Il est difficile d’en déduire la manière dont la stratégie pourra s’articuler. La volonté de laisser les seuls industriels « déterminer les technologies les plus efficaces » crée un risque de marché qui peut fortement ralentir l’action.

Les propositions concrètes en matière de sobriété et d’évolution des modes de consommation sont rares, au-delà d’intentions exprimées sans détails dans le domaine des transports et de la consommation électrique.

Les objectifs et moyens dans le domaine de l’emploi et de la formation restent très généraux.

 

Philippe Poutou

Dans sa lettre, Philippe Poutou défend une « planification écosocialiste » dont les « deux principes » consisteraient d’une part à « développer en priorité la sobriété et l’efficacité énergétique » et d’autre part à « développer les énergies renouvelables au détriment des énergies fossiles et ‘fissiles’ ». Pour ce faire, il s’agirait de procéder à « la socialisation de l’économie » et à « la planification de la gestion des ressources ».

Il n’est pas possible de jauger l’opérabilité de la stratégie décrite : trop peu d’indications pratiques viennent préciser la vision fournie à très grands traits d’une révolution sociale, économique, technique et organisationnelle. M. Poutou dit clairement ce qu’il faudrait interdire. Mais au-delà des principes, il ne donne pas d’indications suffisamment précises permettant de percevoir de quelle manière concrète serait agencé le monde d’après.

 

Fabien Roussel

Dans sa lettre, Fabien Roussel liste des principes et des priorités, et indique des leviers de financement. Mais la description de l’articulation de la stratégie d’ensemble fait défaut. Plusieurs secteurs et problématiques clés ne sont pas mentionnés.

 

Eric Zemmour

L’approche mise en avant par Éric Zemmour dans sa lettre apparaît fragmentaire et confuse. Sur plusieurs sujets fondamentaux (méthode de gouvernance, stratégie industrielle), il s’en tient à des intentions rarement assorties d’objectifs spécifiques, hormis concernant le nucléaire.

S’il affirme adhérer au principe de certaines notions importantes, comme la sobriété ou les circuits courts, celles-ci ne sont pas traduites sous forme de mesures opérationnelles explicites.

Certains enjeux clés (entre autres : modalités de décarbonation de l’industrie, formation et reconversion, place de l’automobile, évolution des modèles agroalimentaires) ne sont pas abordés. Ces impasses ouvrent la possibilité de nombreuses contradictions avec les priorités affichées.

 

Prisme d’analyse

L’analyse réalisée par le Shift n’est pas exhaustive : elle se fonde exclusivement sur les lettres envoyées, et non sur les programmes souvent bien plus étayés. Les lettres ont été analysées principalement à l’aide d’éléments méthodologiques qui ont présidé au travail sur le Plan de transformation de l’économie française, publié aux éditions Odile Jacob. Seul ce qui se rapproche d’une « mesure » ou « proposition » a été pris en compte dans l’analyse du Shift : ni le discours général, ni les programmes, d’autres annonces. Mécaniquement, les conclusions sont plus sévères que d’autres.

Trajectoire 2050

La lutte contre le réchauffement climatique et les transformations nécessaires sont urgentes, mais s’inscrivent dans le temps long, avec un cadre donné par les négociations internationales et les rapports du GIEC. La France est engagée par l’Accord de Paris à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. La question du calendrier est clé pour réduire les émissions au bon rythme.

Gouvernance

Fixer des objectifs chiffrés de réduction des émissions, proposer les outils permettant de rendre possibles les transformations qui y mènent et proposer des mécanismes de suivi et d’ajustement sont indispensables pour créer et piloter les dynamiques nécessaires à la décarbonation de notre économie dans son ensemble. Une forme de « planification » est nécessaire.

Secteurs les plus émissifs

Industrie, transport, bâtiment et agriculture sont les secteurs les plus émissifs de notre économie. A la fois intenses en énergie, supports des usages clés de nos vies quotidiennes (se déplacer, se nourrir, se loger, consommer des biens) et sièges de procédés complexes à décarboner (émissions directes des procédés industriels, de l’élevage, etc.), une attention particulière doit leur être accordée. Un plan de décarbonation cohérent proposera des leviers de transformation dédiés et adaptés aux particularités et enjeux de ces secteurs, abordera spécifiquement les infrastructures, tiendra compte des interdépendances avec les secteurs de service (culture, santé, etc.) et les contraintes physiques (disponibilité en énergie, en matières, en espace etc.) auxquelles ils sont soumis, et complètera les mesures de substitution d’une énergie par une autre et d’efficacité par autant de sobriété qu’il sera nécessaire.

Évolution du système électrique

La substitution des énergies fossiles par report sur le vecteur électrique est l’un des piliers de la transformation vers une économie décarbonée. Planifier la taille et les caractéristiques du système électrique est indispensable : sa stabilité dépend de la bonne anticipation des infrastructures à déployer, dont l’inertie réclame des arbitrages à formuler sans délai. La transition énergétique implique de penser les systèmes énergétiques sur toute leur chaîne de valeur (production, distribution, consommation) et non seulement le mix énergétique ou, pire, uniquement sur le mix électrique. Sortir l’économie de ses dépendances aux énergies fossiles implique donc de transformer la manière dont nos usages finaux utilisent l’énergie, mais également de gérer et prévoir les transformations des acteurs, emplois et infrastructures.

Énergie hors électricité

Planifier le déploiement des énergies hors électricité, comme la chaleur renouvelable (géothermie, pompes à chaleur, etc.) ou le vecteur énergétique qu’est l’hydrogène, qui remplacent bien souvent directement le gaz, le pétrole ou le charbon, est également nécessaire. Enfin, un plan cohérent doit tenir compte de facteurs extérieurs tels que l’épuisement, à différents rythmes, des énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon).

Sobriété

Réorganiser collectivement notre société pour réduire les volumes d’énergie et de matières consommés nécessite des transformations profondes des modes de vie et des usages. Travailler sur l’efficacité, l’optimisation et le mix énergétique ne suffit pas. Un plan de décarbonation doit donc organiser la sobriété lorsque nécessaire ou souhaitable. Il doit donc prévoir des mécanismes de concertation, de choix et d’arbitrage à l’échelle du pays, des filières et de ses territoires.

Usage des sols

S’affranchir des hydrocarbures fossiles, c’est cesser d’appuyer notre économie sur des sources d’énergie très concentrées. Répondre à nos besoins, y compris après déploiement de la sobriété, implique de recourir à des processus plus diffus qui vont fortement renforcer les concurrences d’usage sur les espaces au sol (agriculture avec moins d’intrants azotés et impactée par le changement climatique, biocarburants, forêt et filière bois, autres matériaux, et plus marginalement photovoltaïque et éolien, etc.) déjà à l’œuvre (étalement urbain, etc.) De même, le développement des puits de carbone implique une attention particulière à l’usage des sols.

Matériaux critiques

Réduire notre dépendance aux énergies fossiles engendre de nouvelles dépendances qui doivent être surmontables, en particulier vis-à-vis de matériaux qui sont déjà ou peuvent devenir critiques (pour les équipements électriques, par exemple).

Emploi et formation

Transformer notre économie à la bonne échelle implique une transformation de l’emploi : leur nature, leur répartition, leur implantation sur le territoire. Ces évolutions, qui concerneront peu ou prou tous les emplois, seront néanmoins majeures et touchent directement aux conditions et modes de vie des personnes, dont l’accompagnement doit d’être prévu et organisé.

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