Les incohérences du PIB vert

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Dans une tribune publiée par le quotidien Les Echos le 1er août, Pierre Lachaize, chef du projet « Indicateurs » au sein du Shift, explique en quoi le PIB vert ne permet pas de piloter un développement soutenable à force de vouloir agréger trop de dimensions.

Le PIB vert ou, plus exactement, l’« inclusive wealth index » a été lancé par le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) lors de la conférence sur le développement durable Rio + 20.

Le PIB vert consiste à ajouter « l’évolution du capital humain » et « l’évolution du capital naturel » au volume de production mesuré classiquement par le PIB. L’intention est intéressante. Une production qui s’accompagne d’une dégradation de capital humain (par exemple en termes de santé ou de formation) ou d’une dégradation de la nature (par exemple par émission de CO2 ou par destruction de forêts) est diminuée du capital ainsi consommé. Inversement, l’accroissement du capital humain ou du capital naturel constitue en soi une production additionnable au PIB.

Le PNUE a donc comparé l’évolution du PIB par habitant et du PIB vert par habitant pour 40 pays et sur une période de dix-neuf ans, entre 1990 et 2008.

La Chine et l’Inde, les deux pays où la croissance économique a été la plus forte (9,6 % et 4,5 % de croissance moyenne annuelle par habitant), voient leur PIB vert progresser moins vite, respectivement de 2,1 % et de 0,9 %. Leur croissance économique s’est donc accompagnée d’une consommation du capital humain et naturel. Mais la croissance du PIB vert reste positive, comme si le modèle de développement de ces deux pays était globalement acceptable : la croissance économique compense la destruction du capital naturel.

L’Allemagne et la France ont connu une croissance économique plus limitée (Allemagne : + 1,5 %, France : + 1,3 %), mais voient leur PIB vert progresser plus que leur PIB (respectivement + 1,8 % et + 1,4 %). Là encore le PIB vert semble valider un modèle de croissance qui serait vertueux : le développement économique s’accompagne d’un développement plus important du capital naturel et humain.

On peut raisonnablement imaginer que le PIB vert a été conçu pour qu’une évolution positive de celui-ci témoigne d’un développement soutenable. Il est difficile cependant de croire que les modèles de développement des nouvelles puissances comme la Chine et l’Inde ou des vieux pays industrialisés comme la France ou l’Allemagne puissent être soutenables. De fait, le PIB vert est extrêmement critiquable.

Comment comparer un enfant instruit, un hectare de forêt préservé, une tonne de CO2 émise, une espèce préservée, une mobylette produite ? Le choix des modes de valorisation et de pondération entre toutes ces grandeurs permet en réalité d’obtenir tous les classements possibles avec en tête la Chine, ou l’Inde, ou la France, ou le Brésil, voire même le Niger.

En réalité, le PIB vert ne permet pas de piloter un développement soutenable. A agréger trop de dimensions, il perd toute capacité réelle d’information Il est donc fortement critiquable tant du point de vue des messages qu’il véhicule que de celui de son mode d’élaboration. Pour ces raisons, il paraît peu vraisemblable que le PIB vert puisse faire l’objet d’un consensus fort et arrive ainsi à détrôner le PIB. Avec ce dernier, nous avons atteint un niveau d’agrégation déjà excessif. Tout niveau d’agrégation supplémentaire ne peut amener que plus d’arbitraire dans les modes de valorisation, plus de confusion dans les interprétations, plus d’aveuglement au global.

Le PIB devrait rester dans l’histoire un « summum d’agrégation », il n’aura pas de successeur, il disparaîtra progressivement de certains usages où il sera remplacé par d’autres indicateurs chacun plus pertinent dans son rôle. C’est une batterie d’indicateurs qu’il faut mettre en place, eux-mêmes pouvant être des agrégats thématiques, de façon à disposer d’une réelle capacité de pilotage de notre développement.

Photo credit : © iQoncept – Fotolia.com 


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