La spéculation n’explique pas seule l’inflation

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L’auteur, président du cabinet de conseil Global Warning, trouve anormal que les prix de l’énergie et des produits alimentaires soient généralement exclus du calcul de l’inflation. 

L’inflation est un indicateur phare de l’économie. Une panoplie d’outils est utilisée par les économistes pour l’estimer et l’anticiper. Le principal, la « core inflation », consiste à exclure de l’inflation l’énergie et les produits alimentaires, considérés comme trop volatils. C’est une grave erreur conceptuelle, qui a masqué son retour en force partout : le malaise grandissant outre-Manche, les troubles géopolitiques récents autour de la Méditerranée, la surchauffe des prix dans les Bric et les émeutes qu’elle entraîne sont là pour le rappeler. Contre toute prévision, elle s’élève à 2,4 % dans la zone euro.

Le phénomène actuel nous rappelle les hausses – trop vite oubliées – des matières premières de 2007-2008. Il a deux causes. Le prix des matières premières agricoles participe largement de cette résurgence imprévue, dans les pays en développement. Leurs prix ont grimpé de 30 % en un an, alarmant la FAO.

L’autre cause mondiale est la hausse des prix de l’énergie, avec le baril de pétrole qui franchit les 100 dollars et inquiète l’Agence internationale de l’énergie.

Cette « core inflation » est une erreur de fond, un concept biaisé d’« inflation hors inflation », couteau sans lame auquel il manque le manche. Le récent rapport du Conseil d’analyse économique sur les prix du pétrole reconnaît son extrême volatilité; mais aussi sa hausse tendancielle. Donc ne considérer que la première, c’est nier implicitement les contraintes de ressources physiques sur les énergies fossiles – et en particulier le pétrole – qui induisent la seconde. Aussi, effacer la volatilité du prix de l’énergie dans la « core inflation », c’est gommer la tendance de long terme à la hausse de cette composante cruciale.

Pour le prix des matières premières agricoles, on peut incriminer le climat dans leur volatilité depuis quelques années. En Russie, mi-2010; en Australie, il y a peu… À l’échelle du monde, de telles catastrophes climatiques (et peut-on encore les qualifier de « naturelles »?) et les tensions qu’elles entraînent ne relèvent peut-être plus dorénavant de l’exception, mais du récurrent; et avec une fréquence et une intensité peut-être croissante.

Aussi, vouloir effacer leur volatilité, c’est gommer la tendance de long terme à la hausse de celles-ci. Alors que cette volatilité croissante devient probablement un élément fondamental et pérenne de l’inflation.

On va en fait assister à une inflation d’inflations. La voilà soudain partout alors qu’on l’avait oubliée depuis quinze ans! Elle sera au centre du débat économique, social et financier.

Économique : les propos du président de la BCE indiquent qu’elle réagira fermement à cette menace. Mais quel sens donner à une hausse des taux dans une économie convalescente, sans prise sur le prix du pétrole? Et l’inflation mondiale va-t-elle s’arrêter par magie à nos portes?

Social : dans certains pays, l’inflation des prix à la consommation ne pourra pas s’accompagner de contreparties salariales du fait de leur situation budgétaire. Et, dans les pays émergents, l’éventuelle survenance de nouveaux aléas climatiques attisera la hausse des prix, facteur de troubles sociaux et de spirales inflationnistes. Et quid en France des indexations automatiques des minima sociaux, des loyers et des retraites?

Financier : l’indexation du taux du livret A sur l’inflation a justifié son récent relèvement à 2 %. Que se passera-t-il si la règle rapproche le rendement des 170 milliards d’euros de l’épargne liquide du livret A de celui des 1 000 milliards d’euros des fonds généraux d’assurance-vie?

Certains diront que la dynamique démographique mondiale explique ces tensions. D’autres accuseront la spéculation. C’est juste, mais un peu court.

Le vice-président chinois Li Keqiang a été clair récemment, avant même les derniers événements géopolitiques : « La Chine s’engage à œuvrer avec les autres pays à une solution au défi mondial de l’énergie et des ressources. »

Après l’amnésie qui a suivi le traumatisme du krach financier de 2008, le retour de l’inflation impose une réévaluation des deux risques physiques majeurs pour l’économie et la finance que sont l’énergie et le climat.

 

Michel Lepetit, président du cabinet de conseil Global Warning.

Titre original : INFLATION = ENERGIE + CLIMAT

Le Figaro, no. 20689 du mardi, 8 février 2011, p. 14

(Crédits photo: © Paul Fleet – Fotolia.com)


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