La question du véhicule électrique se résume-t-elle au facteur d’émission de l’électricité ?

Share:

La conférence organisée par The Shift Project le 19 juin dernier a réuni un panel d’experts autour de la mobilité sous contrainte carbone, et plus particulièrement la question de la voiture électrique.

L’intégralité de la conférence peut être visionnée sur la page YouTube du Shift. Jean-Marc Jancovici introduit la conférence dans la première vidéo, avant l’intervention d’Hélène Le Teno.

La première intervention, donnée par Hélène Le Teno du cabinet Carbone 4 a permis d’introduire le sujet en abordant le bilan carbone de tous les modes de transport. Hélène Le Teno a expliqué que la voiture à pétrole avait été inventée pour dépasser les limites d’autonomie des voitures électriques du début du 20ème siècle : pour aller plus vite, plus loin. Assez ironiquement, nous voyons aujourd’hui le retour de l’électrique pour dépasser les limites de la voiture thermique : la contrainte énergétique. A l’heure où l’on parle de « droit à la mobilité », cette contrainte sur les déplacements semble aujourd’hui difficile à accepter.

Plusieurs scénarios sont envisageables face à cette contrainte. Les questions fondamentales restent celles du financement et de l’anticipation : soit le réseau électrique est adapté et son usage optimisé, soit l’implantation du VE ne se fera pas. Aussi, plus que solution unique, le VE fera partie d’un cocktail de solutions. Tout dépendra du coût de la mobilité, c’est à dire de l’évolution de ses domaines de pertinence (coûts d’exploitation, part d’investissements, externalités). Or, comme l’a précisé Jérôme Perrin : il faudra faire attention aux explorations où seul un paramètre varie, il faut penser en dynamique et en systémique ; l’évolution des différentes parties du système énergétique doivent être évaluées en parallèle ainsi que leurs interrelations.

Dominique David, chercheur au CEA a ensuite présenté le modèle de calcul des émissions carbones des véhicules individuels, en expliquant qu’il permettait à la fois de se munir d’une représentation du système qui fait sens mais aussi d’explorer des visions du futur. Par exemple, en « poussant tous les curseurs » vers des véhicules optimisés (notamment légers) et des profils de vitesses apaisés sur les trajets, on peut atteindre une réduction des émissions de CO2 d’un facteur 8.

Les principales conclusions tirées sont les suivantes :
1- l’importance de la masse : peu importe avec quoi la voiture roule, il faut l’alléger pour réduire ses émissions ;
2- les auxiliaires sont une autre variable déterminante, le chauffage notamment peut considérablement réduire l’automne d’un VE ou augmenter la consommation d’un véhicule thermique ;
3- le passage au VE signifie également des flux monétaires : dans certains scénarios, le budget de l’Etat pourrait subir une perte de 12 milliards d’euros liés à la  TIPP les loueurs de batteries par ailleurs captent  dans ce même scénario un flux annuel de 19 milliards d’euros.

Jérôme Perrin fait remarquer que l’hybridation légère des véhicules produit virtuellement les mêmes effets que le lissage des vitesses en ville, au moyen d’une infrastructure adaptées et d’équipements communicants proposés par la vision de Dominique David.

Jérôme Perrin, Directeur Général de la Fondation MoveoTec, Institut VeDeCoM* a d’abord souligné que les enjeux environnementaux pour les constructeurs automobiles sont les émissions de CO2 dues à la combustion des carburants fossiles pour l’usage des véhicules mais aussi les autres formes de pollution (NOx, particules) ainsi que le prélèvement des ressources et le traitement  déchets dans la fabrication et le recyclage des véhicules.
Il a montré ensuite que la réduction des émissions de CO2 par km parcouru doit maintenant s’accélèrer pour atteindre les objectifs réglementaires que se donnent la plupart des pays en combinant 3 principaux leviers techniques : la réduction du besoin énergétique (allègement, aérodynamisme), l’amélioration de la performances des chaines de traction thermiques (essence, diesel) et l’électrification avec une batterie rechargeable sur le réseau. Pour les véhicules électriques l’enjeu est aussi d’augmenter l’autonomie réelle qui repose en partie sur la réduction des consommations auxiliaires (chauffage climatisation) et sur des changements d’usage et de comportement des conducteurs.

De plus le déploiement des véhicules électriques est indissociable de l’organisation d’un écosystème de la gestion intelligente de l’énergie pour que la recharge des véhicules puisse contribuer au lissage de la demande sur le réseau éléctrique par des solutions de recharge intelligente négociée en temps réél entre des agrégateurs de véhicules électriques et des opérateurs d’énergie, voire en mettant les véhicules électriques à contribution pour stocker et restituer de l’électricité dans un réseau de plus en plus alimenté par des sources fluctuantes d’électricité renouvelable (concepts de vehicle-to-home ou vehicle-to-grid).
Les batteries usagées des véhicules peuvent aussi trouver une seconde vie en tant que moyens de stockage stationnaire avant d’être recyclées. Des analyses des cycles de vie comparées entre véhicules électrique et thermique montrent que l’impact environnemental du véhicule électrique est globalement meilleur que celui d’un véhicule thermique dans une économie où l’électricité est déjà partiellement décarbonnée comme en Europe bien que la fabrication du véhicule électrique soit plus impactante en particulier par la fabrication des batteries.
Enfin J. Perrin conclut son exposé en présentant des résultats du modèle global IMACLIM-R développé par le CIRED et couplant macro-économie et climat par le biais de scénarios avec des hypothèses concernant les technologies energétiques, les prix, les politiques et les réglementations. Ce modèle montre entre autres que des politiques favorisant l’introduction rapide des véhicules électriques sont compatibles avec  une croissance du PIB et une réduction des émissions de CO2.

Enfin André Broto, DGA de Cofiroute a développé son exposé autour des inégalités d’accès à la mobilité, notamment au sein des agglomérations des grandes villes de province et au cours des échanges domicile-travail dans la seconde couronne de Paris. Le challenge de la massification des flux est amplifié par une dispersion forte dans les matrices origines destinations des trajets. Face à ce défi,  un système de transport radial concentrique (comme le réseau ferré de Paris) est peu efficace : il crée une  double ségrégation spatiale (lieu de travail plus éloigné, moins de gare et de fréquence), surtout pour le transport inter-banlieues. Ce système est auto-entretenu par la « mécanique de l’accessibilité ». L’implantation de nouvelles infrastructures de transport génère parfois une demande de déplacements supplémentaires. D’où l’importance fondamentale des initiatives locales (bottom-up) et de l’évolution des contextes fiscaux, réglementaires et de gouvernance pour leur permettre d’aboutir.

Débat et conclusion

Pauline Lehoux et Léo Benichou

* Ancien Directeur des Projets Avancés « CO2, Energie, Environnement » DREAM – Direction de la Recherche, des Etudes Avancées, et des Matériaux chez Renault


Share: